Les développeurs ont la parole, Vol. 15 : Mario & Luigi : L'épopée fraternelle – Chapitre 2
20/12/2024
Cette interview a été réalisée avant la commercialisation du jeu.
Certaines des images et vidéos présentées dans cette interview ont été créées lors du développement.
Le contenu de cet article a été publié à l'origine en japonais.
Chapitre 2 : Une collaboration inédite
Même si je comprends votre envie de réaliser ce jeu en 3D, les graphismes 3D sont monnaie courante dans les jeux d'action Mario, non ? En choisissant cette voie, les graphismes du jeu auraient pu être proches des autres jeux Mario. Donc, il fallait que vous imaginiez un style propre à la série Mario et Luigi, mais en 3D, n'est-ce pas ?
Furuta :
Précisément. Notre défi consistait à développer des graphismes 3D qui feraient ressortir le charme singulier de la série Mario & Luigi et qui la distingueraient des autres jeux Mario. J'ai presque honte de le dire, mais nous n'avions pas conscience de cet aspect au début du développement, ce qui nous a fait faire un grand détour. En cherchant un nouveau style pour Mario et Luigi, nous avons même proposé un Mario plus âpre, plus rustique... (rires)
Nous avons alors eu un retour de Nintendo expliquant que nous devions aller vers un style que les fans associeraient sans peine à la série Mario & Luigi. Suite à cela, nous avons trouvé une ligne précise en combinant le charme des dessins au trait épais et des grands yeux noirs, à celui des animations en pixel art dépeignant les déplacements comiques des deux personnages. Je pense que c'est là que nous avons commencé à tenir un style propre à ce jeu.
Croquis du « Mario rustique ».
Ces croquis montrent un Mario assez différent de ce qu'il est dans les autres jeux de la série.
Otani :
Après avoir observé nos croquis, nos collègues de Nintendo ont dit avoir l'impression de voir des personnages qui ressemblaient à Mario mais n'étaient pas Mario. Nous avons donc organisé une réunion pour réévaluer notre direction artistique.
Furuta :
C'est là que nos collègues de Nintendo nous ont montré un document récapitulant ce qui définit Mario et Luigi dans cette série. Nous avions beau être contents de notre Mario plus rustique, je me suis mis à la place du joueur et je me suis demandé si c'est le Mario avec lequel j'aurais envie de jouer. Donc, quand nous avons eu la direction indiquée par Nintendo, tout nous a paru clair. Je crois que nous réalisions pour la première fois ce qu'Acquire devait viser en termes de style artistique en 3D et nous avons déterminé la voie à suivre.
Ohashi :
Nous aurions bien aimé tester de nouveaux styles, mais nos confrères de Nintendo arrivaient à nous convaincre de la justesse de leur vision à chaque fois.
Otani :
Oui, c'est un peu comme si nous avions lâché Acquire dans la nature... et que nous avions dû partir à leurs trousses.
Tous :
(rires)
Otani :
Nous voulions qu'Acquire puisse donner libre cours à son style, mais nous voulions aussi conserver ce qui définit Mario. Je crois qu'à un moment, nous avons tenté de faire coexister ces deux styles.
Ohashi :
Comme nous l'avons déjà dit, Acquire n'a presque jamais créé de jeux utilisant des personnages d'autres compagnies. Nous n'avions donc pas de processus défini. C'était un vrai défi au début du développement. Ceci dit, nous avons pu rectifier le tir rapidement en discutant.
Furuta :
Pour ce qui est des illustrations, nous avons eu des difficultés à exprimer les caractéristiques de Mario et Luigi et à transcrire en 3D l'expressivité des graphismes originaux en pixel art. Techniquement, il n'est pas facile de rendre en 3D les styles des graphismes en pixels. L'équipe de modélisation des personnages et celle chargée de la 3D ont reçu beaucoup des demandes complexes de notre part. Sans compter que nous tenions à incorporer ces contours dessinés, une caractéristique des illustrations de la série.
D'un point de vue technique, ce type de réalisation en 3D peut être gourmand en ressources et limite les possibilités visuelles, mais nous étions déterminés à garder ces contours et nous en avons fait une priorité. Grâce à la persévérance du responsable de la modélisation des personnages, lui-même passionné de Mario, et à l'équipe technique, nous pensons que le résultat artistique est assez abouti.
Ohashi :
Comme nous nous sommes concentrés sur les contours, le style de ce Mario se distingue de celui des autres jeux d'action, et c'est là que nous avons réalisé que nous avions créé quelque chose d'unique à ce jeu.
Otani :
Quand la bande-annonce a été dévoilée lors du Nintendo Direct, j'ai vu a quel point les fans s'enthousiasmaient du retour de la série Mario & Luigi, et je pense que cette réaction peut être attribuée à tout le travail fourni par Acquire. Non seulement les modèles 3D sont proches du style des illustrations en 2D, mais les animations sont fidèles aux mouvements des graphismes en pixels des titres Mario & Luigi précédents.
Furuta :
Notre équipe 3D a minutieusement étudié les graphismes en pixels de la série pour s'assurer d'en rendre le charme. Ils ont aussi beaucoup travaillé pour que les déplacements soient fluides quel que soit l'angle, tout en conservant l'aspect comique des graphismes en pixel art. Ils n'ont pas simplement copié les graphismes des jeux précédents, ils ont créé un style d'animation propre à ce jeu, sans trahir la série Mario & Luigi.
Pour animer Mario lorsqu'il court, nous avons pris exemple sur Super Mario Odyssey (8) et étudié attentivement la sensation des commandes. Les équipes de programmation et de mouvements en 3D travaillaient en permanence et effectuaient des modifications en continu. Par exemple, ils ont ajusté la façon dont le corps de Mario penche dans les virages pour que le joueur ait une meilleure expérience de jeu.
(8) Jeu de plateforme et d'action sur Nintendo Switch sorti en octobre 2017. Mario part pour un tour du monde et utilise le pouvoir de Cappy, un habitant du pays des Chapeaux.
Ohashi :
Nous alternions entre travailler sur quelque chose et demander à M. Otani de le tester.
Furuta :
Même s'il est primordial de respecter l'apparence de Mario, nous avons réalisé qu'il était important qu'un personnage tel que lui soit amusant et apporte de la satisfaction lorsqu'on l'incarne en jeu.
Non seulement Mario et Luigi sont animés en 3D, mais le monde dans lequel se déroule leur aventure est plein de personnages inédits. Avez-vous rencontré des difficultés pour créer ces personnages et le monde qu'ils habitent ?
Furuta :
Disons que cela n'a pas été un long fleuve tranquille. Ampéria, un personnage inédit, avait au départ une apparence humaine. Puis, nous sommes partis sur une idée de prise de courant et de fiche électrique, et le concept de visage en forme de prise encadré d'un chapeau ressemblant à une fiche correspondait parfaitement à cet univers. C'est ainsi que nous sommes arrivés au style actuel du jeu.
Croquis conceptuels d'Ampéria (gauche) et son apparence finale (droite).
Otani :
Si les autres personnages avaient l'air trop humains, on aurait pu se retrouver avec un monde où Mario n'aurait plus eu sa place en tant que protagoniste. Lors du processus de création, il est important de développer des personnages et un monde dans lequel Mario s'intègre. Acquire a donc étudié de près les précédents jeux de la série. Mme Furuta, vos efforts nous sont clairement apparus dans tous les documents de travail que vous nous avez envoyés. Il y avait beaucoup de commentaires manuscrits précisant votre pensée : « Ça devrait fonctionner... Non... Il faut tout refaire. » (rires)
Furuta :
Oups... (rires)
Fukushima :
Mais le fait que vous notiez tout ce qui vous posait problème nous a facilité la tâche quand nous discutions de solutions ensemble.
Furuta :
Oui, j'imagine que vous avez raison. (rires) Tout particulièrement au début, je me suis dit qu'il était préférable de partager notre vision des choses avec Nintendo, mais aussi communiquer tout ce que nous ignorions, car c'était notre première collaboration. J'ai donc tout écrit à mesure que ça me venait.
Otani :
Puisqu'on parle de nouveaux personnages, si nous ne pouvions compter que sur les réactions de Mario et Luigi au fil de l'histoire, nous passerions à côté de pas mal d'informations. Il leur fallait donc un compagnon. C'est ainsi qu'est né Couchomb.
Furuta :
Nous sommes partis très tôt sur ce thème de prise électrique. Nous avons donc réfléchi aux différentes formes que pourrait prendre Couchomb, dont celle d'une prise électrique.
Ohashi :
Je me demandais bien ce qu'allait donner ce personnage, un cochon tirelire dont les traits en forme de prise pouvaient aussi bien figurer un groin que des yeux. Couchomb est mon personnage préféré. (rires)
Furuta :
Au début, nous l'avions dessiné avec les yeux sur le haut de la tête, mais en ne laissant que les sourcils, son nez ressemble à ses yeux et c'est amusant de se demander où ils peuvent bien être.
Croquis conceptuel de Couchomb (gauche) et son apparence finale (droite).
Fukushima :
J'ai appris que ce genre de cochon tirelire existait dans de nombreux pays. Les gens reconnaîtront donc facilement Couchomb. Et nous avons été conquis par le concept de « Navisthme ». Quand nous l'avons vu, on s'est dit que c'était l'idée à suivre.
Furuta :
Voici la première ébauche du Navisthme. Nous avions appelé cette première base « l'île du début », et après bien des idées, un membre de l'équipe a proposé cette île en forme de bateau. Nous avons confirmé à l'unanimité que c'était une excellente idée et nous sommes partis sur ce concept. Sa forme indique clairement qu'il s'agit d'une base d'opération pour l'aventure. Ensuite, les autres éléments ont vu le jour, les uns après les autres.
Otani :
Puisque c'est une île, elle dérive plus qu'on ne la dirige. Ça ne nous semblait donc pas logique d'en faire un vrai navire. Une fois que nous avons statué que c'était une île en forme de bateau, nous nous y sommes vraiment attachés.
Les décors et l'atmosphère qui y règne dégagent quelque chose de très coloré.
Ohashi :
Puisque ce jeu fait partie de la série Mario et Luigi, l'atmosphère ne peut pas être maussade. Nous la voulions lumineuse et amusante.
Furuta :
Livrés à nous-mêmes, nous avons tendance inconsciemment à virer vers les côtés pesants caractéristiques des RPG plus sérieux. Alors même que nous prenions encore nos marques dans la série Mario & Luigi, nous avons décidé de partir vers la couleur pour ne pas oublier que nous avons affaire à des aventures amusantes et chaotiques. Cela ne concerne pas uniquement l'univers du jeu. Au cours du développement, nous avons beaucoup appris de la perspective artistique unique de Nintendo, qui consiste à tout rendre simple à voir et à comprendre. Ce monde s'est avéré plus lumineux et plus facile à jouer vu de cet angle.
Une fois le style artistique du jeu défini, est-ce que la communication a été plus facile et est-ce que le développement a avancé ?
Otani :
Eh bien... Dans un certain sens, cette série est trop « colorée ». Il a beau s'agir d'un jeu Mario, tout y est si farfelu. Et puis, les couleurs d'AlphaDream, l'ancien studio de développement, sont trés marquées. Ce que nous demandions à Acquire consistait en quelque sorte à refaire un délicieux bol de ramens préparé par un autre restaurant sans la recette. Cela a dû être un grand défi pour eux.
Furuta :
Nous tentions de reproduire ces délicieux ramens en y goûtant et en se disant : « Je crois qu'il doit y avoir... tel ou tel ingrédient ? » (rires)
Tous :
(rires)
Otani :
Comme c'était notre toute première collaboration, il nous a fallu un certain temps pour poser les bases. Ce n'est qu'après ça que nous avons enfin commencé à travailler sur le contenu de jeu.