Ainsi, comment en êtes-vous venu à diriger votre propre équipe, Takahashi-san ?
Je suis allé voir Sakaguchi-san et je lui ai dit que j’avais besoin d’un nouveau défi. C’était au beau milieu de FFVII.
FFVII a vraiment marqué un tournant dans la série. Que quelqu’un qui faisait partie intégrante de l’équipe prenne ainsi son indépendance, et bien Sakaguchi-san, cela a dû être difficile de le perdre, même si vous lui souhaitiez le meilleur.
Oui, c’est vrai. Pour être honnête, je me suis senti un peu seul. Je me souviens très bien qu’à peine Taka-chan avait-il formé sa propre équipe que son bureau s’est retrouvé recouvert de maquettes et de pistolets Gundam. C’est alors que j’ai compris qu’il voulait depuis toujours travailler sur ce genre de choses.
C’était comme s’il avait été promu.
Oui. En tout cas, c’est l’impression que j’ai eue...
... C’est donc ce que vous pensiez ! (rires)
Quand vous avez quitté l’équipe de Final Fantasy, que souhaitiez-vous faire ?
Je voulais voir si nous pouvions créer un jeu entièrement en 3D, et pas simplement les cinématiques. Ma motivation initiale était d’y parvenir dans un jeu.
Vous vouliez donc utiliser la 3D d’une autre façon que dans FFVII.
C’est exact. Selon moi, la société devait développer différemment l’utilisation de la 3D par rapport à FFVII. Je voulais créer des niveaux entièrement en trois dimensions et permettre au joueur de modifier librement sa perspective du monde du jeu.
Il y a une différence entre être responsable des graphismes, et proposer de véritables concepts de jeu et réunir tous les éléments nécessaires.
Oui, c’est vrai, et j’ai dû avancer à tâtons au départ.
Mais tout le monde avançait à tâtons.
Pour FFVII, il s’agissait vraiment d’avancer à tâtons.
J’irais même jusqu’à dire qu’à l’époque, au départ, quasiment personne n’avait une idée précise de ce que serait le produit fini.
Mon équipe était composée à 90 % de jeunes qui ne connaissaient absolument rien à la 3D. Le plus difficile, c’était le côté psychologique : aider les gens à s’adapter à l’équipe, discuter avec eux de leurs craintes et inquiétudes, etc. C’est alors que j’ai réalisé que Sakaguchi-san s’était toujours occupé de cela.
C’est seulement quand vous quittez le nid familial que vous réalisez ce que vos parents ont fait pour vous ! (rires)
Je vois ce que vous voulez dire !
Sakaguchi-san, quand avez-vous réalisé qu’il était essentiel de prendre soin de votre équipe ? Le premier Final Fantasy avait été créé en peu de temps et avec une petite équipe, alors j’imagine que vous n’avez pas eu beaucoup de temps pour réfléchir au bien-être psychologique de votre équipe.
C’est exact. Mais jusqu’à FF III7, nous avons travaillé avec un programmeur étranger très talentueux qui ne parlait pas japonais et ne comprenait pas vraiment les RPG, ce qui demandait une supervision particulière de ma part. Alors je l’emmenais manger un steak tous les jours et... (rires) 7 Final Fantasy III est un RPG sorti sur Famicom au Japon en avril 1990.
Vous l’avez emmené manger un steak tous les jours ? Ça alors ! (rires)
Il ne mangeait que du steak. Je devais m’assurer que tout allait bien avec le programmeur principal. Il ne s’agissait pas là de prendre soin de toute l’équipe, mais c’est un exemple du genre d’attention que j’ai eue pour mon équipe.
C’était l’époque de la Super Famicom, époque marquée par d’importants changements dans le développement des jeux, avec une ROM dotée d’une plus grande capacité et de meilleures possibilités graphiques. Mais quand Takahashi-san a formé sa propre équipe et commencé à se faire un nom, un changement encore plus radical se préparait alors : la 3D. Alors que le développement de jeux s’est rapidement de plus en plus spécialisé, avec la 3D et les graphismes améliorés, il n’existait encore aucune méthode définie ou convenue pour créer un jeu qui exploite ces possibilités.
C’est cela.
Avec l’arrivée de la 3D, on partait de zéro en termes de création de jeux, ce qui a engendré toutes sortes d’ennuis pour l’industrie dans son ensemble.
La plupart des gens ne connaissaient même pas la terminologie exacte pour les nouveaux types de graphismes. Ajoutez à cela le fait d’essayer de diriger une équipe, vous aviez vraiment l’impression de vous jeter dans une tempête en portant un certain nombre de personnes.
Face à l’immense défi de diriger votre propre équipe, qu’est-ce qui vous a stimulé et vous a donné envie de continuer ?
Laissez-moi réfléchir. Bien, je savais au fond de moi que je pouvais y arriver, que tout irait bien. C’est la seule chose à laquelle je pouvais vraiment me raccrocher. Aujourd’hui, quand j’y repense, je réalise que si j’avais fait en sorte d’inspirer le même sentiment à mes coéquipiers, il aurait été plus facile de construire une équipe.
Même quand on ignore ce qui nous attend, le désir de faire quelque chose peut rassembler les gens et leur permettre d’aller au bout. C’est peut-être un point pour lequel les jeunes sont particulièrement doués.
Oui. Et même si c’était quelque peu irréfléchi, nous avons réussi à progresser et à accomplir notre travail.
Les choses qui se révèlent finalement incroyables passent souvent pour des idées folles au départ. Je me demande si le fait de trop s’en tenir à ce qui a été essayé et testé n’est finalement pas gênant.
Je pense que oui. Je pense que nous avons géré les choses de la bonne façon.
Il semble vraiment que ce que nous avons fait à l’époque a permis ce que nous avons aujourd’hui.
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