Inaba-san, que faisait Irem quand vous y étiez ?
Des bornes d’arcade. Contrairement aux jeux de salon, les bornes d’arcade subissent des tests en conditions réelles.
Avant la sortie, vous installez la borne dans une salle d’arcade pour voir la réaction des joueurs.
Oui. La première fois que j’ai vu des gens tester pour de vrai un jeu sur lequel j’avais travaillé, ça m’a ému aux larmes. Là, juste sous mes yeux, de parfaits inconnus s’amusaient avec un jeu que j’avais fait. Et si quelqu’un avait l’air de trouver ça nul, ça me faisait pleurer aussi ! (rires)
Mais quand quelqu’un remettait une pièce dans la borne, vous étiez de nouveau aux anges. (rires)
Oui, j’avais même envie de lui serrer la main ! (rires)
Ou de le serrer dans vos bras ! (rires)
Oui. Cette expérience m’a permis de comprendre qu’il est important de tenir compte des joueurs.
Vous étiez encore jeune à cette époque.
Oui. Ces dernières années, avec le développement d’Internet, les joueurs peuvent nous donner leur avis, mais à l’époque des salles d’arcade, nous pouvions vivre de genre d’expériences en contact direct avec les joueurs et nous prenions conscience que faire des jeux était un travail directement lié aux joueurs.
Sur Internet, les joueurs prennent le temps de rédiger les avis qu’ils envoient, mais lors de ces tests en conditions réelles pour les bornes d’arcade, vous pouviez observer toutes sortes de réactions, dont les joueurs eux-mêmes n’avaient probablement pas conscience.
Tout à fait.
Les mouvements ou les réactions inconscientes étaient des indicateurs fiables.
Oui. Nous faisions attention aux moindres mouvements des joueurs et nous réfléchissions au lien que ça avait avec le jeu. C’est pour ça que je suis content d’avoir commencé par les bornes d’arcade. Et à l’époque, on pouvait toucher à tout, même au matériel en soi, alors j’avais vraiment l’impression de tout contrôler.
Vous connaissiez tout, même l’aspect matériel.
À l’époque, si vous ne connaissiez pas l’ensemble de la machine, vous ne pouviez pas faire un jeu. Maintenant, avec les consoles de salon actuelles, c’est quasiment impossible de tout cerner, mais j’ai eu de la chance, à l’époque, de pouvoir me familiariser avec toute la structure du développement d’un jeu vidéo. Ensuite, l’activité jeu de mon entreprise s’est réduite, alors j’ai travaillé dans une autre entreprise de jeux, puis Capcom s’est mis à recruter des développeurs pour Resident Evil16.16. Resident Evil : « survival horror » (jeu d’action horrifique) dirigé par Shinji Mikami et commercialisé par Capcom en août 1996.
Le premier Resident Evil ?
Non, c’était après la sortie de Resident Evil 2.
Après la sortie du deuxième. Capcom a voulu faire quelque chose d’encore plus imposant, mais ses effectifs n’étaient pas suffisants.
J’ai postulé et je suis allé à un entretien. Ils m’ont dit que je risquais d’être assigné à un autre projet que Resident Evil et ils m’ont demandé si ça me conviendrait. Évidemment pour décrocher le poste, quelqu’un de normal aurait dit : « Je travaillerai dur, quelle que soit l’équipe que je rejoindrai », mais moi, j’ai dit : « Non ».
Comme ça, de but en blanc ? (rires)
Oui, parce que je voulais vraiment travailler sur Resident Evil. Alors j’ai répondu : « Je ne veux pas rejoindre une autre équipe ».
Mais finalement, vous n’avez jamais travaillé dessus.
Oui, c’est vrai ! (rire ironique) Au final, je n’ai jamais rejoint l’équipe de Resident Evil. J’ai intégré Capcom et j’ai commencé par y travailler en tant que programmeur. Mais à un moment, ils ont décidé de repenser l’organisation interne de l’entreprise et tout le monde a changé de poste. Shinji Mikami-san17, qui était mon supérieur à l’époque, m’a alors demandé si un poste de producteur me tenterait. Et pour tout vous dire, ça faisait quelques temps déjà que l’idée de superviser un projet dans son ensemble me trottait dans la tête.17. Shinji Mikami : ancien responsable du département de développement 4 chez Capcom. Il a dirigé et produit la série Resident Evil jusqu’au quatrième opus. Actuellement, il est producteur exécutif du studio de planification et de développement Tango Gameworks.
Vous étiez dans l’entreprise depuis combien de temps ?
Je crois que ça faisait deux ans que je travaillais chez Capcom.
Même si vous aviez certes un peu d’expérience, votre carrière n’en était encore qu’à ses balbutiements.
Oui, et je trouve que c’était plutôt incongru.
Vous étiez très jeune et vous n’aviez pas encore beaucoup d’expérience, alors, à votre avis, pourquoi vous a-t-on confié les grandes responsabilités qui incombent à un producteur ?
Sûrement à cause de mon tempérament. Je suis quelqu’un de très franc, qui ne mâche pas ses mots. Quand j’ai décidé quelque chose, comme lors de cet entretien d’embauche, et que j’ai envie d’y arriver, je n’y vais pas par quatre chemins. Et je crois que même aujourd’hui, j’arrive parfois encore à décontenancer Minami-san ! (rires)
C’est vrai ! (rires)
Donc quand je ne suis pas satisfait de la tournure que prennent les évènements, je n’hésite pas à dire : « Je veux diriger les opérations ! »
Vous êtes du genre à vous exprimer et à agir par vous-même.
Oui, tout à fait. Chez Capcom, les gens pleins d’assurance comme moi avaient leur mot à dire, alors j’ai eu de la chance.
Vous étiez un peu le trublion qui faisait bouger les choses.
Oui. Et je n’ai pas changé d’un iota depuis. Mais je pense qu’à l’époque, surtout comme j’étais jeune, ma franchise a pu me faire passer pour quelqu’un de grossier.
Pas faux. (rires)
J’étais comme ça au sein de l’entreprise, mais aussi à l’extérieur. Je n’arrivais pas à me contenir et une fois que j’avais dit quelque chose, il fallait que je le fasse.
Vous deviez tenir votre parole.
Je me souviens très bien de l’époque où Inaba-san est devenu producteur. Son chef, Mikami-san, l’a fait venir, ainsi qu’Hiroyuki Kobayashi-san18 qui travaille toujours chez Capcom d’ailleurs, et il a dit : « Ils vont être nommés producteur ». C’était la première fois qu’on se rencontrait.18. Hiroyuki Kobayashi : producteur chez Capcom. Il a notamment travaillé sur les séries Resident Evil, Dino Crisis et Sengoku Basara.
Oui, c’est exact. Chez Capcom, j’ai rarement eu l’occasion de travailler avec Minami-san, mais je venais souvent lui demander son avis.
Je vois.
Minami-san, la première fois que vous m’avez vu, vous m’avez jaugé, n’est-ce pas ? (rires)
Nous avons parlé de plein de choses. Je me suis dit : « Mais c’est qui, ces deux parvenus ? » (rires)
Et ça n’a pas changé depuis ! (rires)
En ce qui nous concerne, nous nous sommes rencontrés pour la première fois peu après cela.
Oui, tout à fait.
C’était à l’époque où Mikami-san avait commencé à développer pour la console Nintendo GameCube19.19. Nintendo GameCube : console de salon commercialisée par Nintendo en 2002.
C’est ça. Je travaillais sur le jeu Resident Evil Zero20, alors je suis allé chez Nintendo avec lui et nous avons parlé de plein de choses.20. Resident Evil Zero : « survival horror » commercialisé par Capcom sur la console Nintendo GameCube en mars 2003.
Mais alors, on se connaît tous depuis plus de 12 ans !
Oh, déjà ?
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