S’est-il passé quelque chose qui a fait que vous ayez voulu passer de joueur à développeur de jeux ?
Comme beaucoup d’autres, je m’amusais énormément en jouant et je n’avais pas conscience que des gens travaillaient pour obtenir ce résultat.
Je vois.
Un jour, j’ai lu un entretien dans Family Computer Magazine9 entre Shigeru Miyamoto-san et le créateur de Xevious10, Masanobu Endo-san. C’est à ce moment-là que j’ai appris l’existence des concepteurs de jeux.9. Family Computer Magazine : magazine japonais consacré à la Famicom. Il fut publié par Tokumashoten Intermedia Inc. de 1985 à 1996.10. Xevious : jeu de tir de Namco Limited (Namco Bandai Games Inc. de nos jours) disponible dans les salles d’arcade en 1983. Des versions ont ensuite été commercialisées sur consoles, dont la NES.
Ce devait être à l’époque où les concepteurs de jeu ont commencé à se professionnaliser. Dans les débuts, les jeux vidéo étaient créés par des ingénieurs. C’est donc à ce moment-là que vous êtes dit que vous voudriez créer des jeux plus tard.
Oui. Suite à cet article publié quand j’étais au collège, je n’ai plus arrêté d’écrire que je voulais devenir concepteur de jeux quand je serai grand. Par contre, je ne savais absolument pas comment m’y prendre ! (rires)
Vous saviez que vous vouliez créer des jeux vidéo, mais avant l’apparition d’Internet, c’était impossible pour un collégien de savoir comment y parvenir. Il n’y avait pas réellement de parcours-type avant cela.
Vous savez, je crois que je n’ai jamais vraiment rien fait de concret pour devenir concepteur de jeux. Au lycée par exemple, je me suis acheté un NEC PC-880111 dans l’idée d’étudier la programmation, et finalement, je n’ai fait qu’y jouer.11. NEC PC-8801 : ordinateur personnel 8 bits commercialisé au Japon par Nippon Electric Company en 1981.
Je vois. (rires)
J’ai fait un peu de BASIC12, mais comme je ne suis pas quelqu’un de très persévérant, j’ai vite baissé les bras et je suis passé à autre chose. Au lieu de travailler dur pour atteindre mon but, j’ai… Euh, ce n’est pas très glorieux, si ?12. BASIC : langage de programmation standard.
Je vous en prie, continuez. (rires) Dans tous les cas, vous avez beaucoup joué aux jeux vidéo !
C’est vrai ! Et je leur suis fidèle ! Les jeux vidéo étaient mon unique centre d’intérêt. Au collège et au lycée, je ne parlais que de ça avec mes amis.
Vos amis ont contribué à ce que vous êtes devenu aujourd’hui.
C’est totalement vrai.
Quand j’étais au lycée, les ordinateurs personnels n’existaient pas, alors je faisais des jeux sur des calculatrices programmables13, et mon premier client était l’un de mes camarades de classe.13. Calculatrice programmable : calculatrice qui pouvait être programmée pour effectuer des opérations complexes automatiquement. Il s’agissait d’un appareil très simple, uniquement capable d’afficher une ligne de caractères alphanumériques. Celle utilisée par M. Iwata ne pouvait afficher que des chiffres.
Je vois.
Nous formions une sorte de duo complémentaire. Quand je faisais quelque chose, il était réceptif. C’est comme ça que j’ai trouvé mon premier client et que j’ai découvert les joies de la création. Je pense souvent au fait que j’aurais pu ne jamais faire des jeux vidéo si je n’avais pas vécu cette expérience. Je pense donc que ça a été significatif pour vous de parler de jeux vidéo entre amis.
Oui. Au lycée, nous étions trois copains, et l’un de nous, Nagasawa, était un fan de SEGA. Il avait la SEGA Master System14.14. SEGA Master System : console de jeux vidéo de salon commercialisée au Japon par Sega Enterprises Ltd. (SEGA Corporation de nos jours) en 1985. Elle fut commercialisée en Europe en 1987.
Je vois. (rires)
Moi aussi, j’avais une Master System, mais comme j’étais un grand fan de la Famicom, nous débattions des jeux vidéo tous les jours. C’était une sorte de guerre des fans où l’un disait : « La Famicom est géniale ! », et l’autre : « Non, c’est la SEGA Master System la meilleure ! »
Une guerre des fans ! (rires)
Oui. Et c’était pareil pour les ordinateurs. J’avais un NEC PC-8801, et lui, un MSX15.15. MSX : nom des standards communs pour les ordinateurs 8 et 16 bits présentés au Japon par Microsoft et ASCII Corporation en 1983. Des PC basés sur les spécifications MSX furent commercialisés par plusieurs fabricants.
Ah, d’accord ! (rires)
Tout le monde voulait que son matériel soit le meilleur, alors une fois que la guerre avait commencé, impossible de capituler. Mais malgré tout, j’allais chez lui et on s’amusait beaucoup ensemble.
C’est ainsi qu’on s’enrichit.
Et il y avait Takagi… Euh, Takagi, c’était mon autre copain.
D’accord. (rires)
Au lycée, Takagi avait un petit boulot, donc il avait de l’argent et il pouvait s’acheter des consoles.
Il avait de l’argent à dépenser, même s’il était encore au lycée.
Oui. Grâce à son argent, il pouvait s’offrir plein de choses. Ça le faisait rire quand il nous voyait, Nagasawa et moi, en train de nous chamailler à propos de la Famicom et de la Master System.
(rires) Votre groupe d’amis était drôlement singulier !
Au début, Takagi avait un Sharp X116, alors la bataille se déroulait sur trois fronts entre le NEC PC-8801, le MSX et le Sharp X1. Mais ensuite, Takagi a eu un X6800017.16. Sharp X1 : ordinateur personnel 8 bits commercialisé au Japon par Sharp en 1982. Il pouvait être branché sur le téléviseur, et, au Japon, il était surnommé Pasokonterebi, le diminutif de « personal computer television » (télévision PC).17. Sharp X68000 : ordinateur personnel 16 bits commercialisé au Japon par Sharp en 1987. Il est connu pour ses graphismes exceptionnels en comparaison avec les autres ordinateurs de loisir de l’époque, et a obtenu l’adhésion de nombreux joueurs.
Il s’est acheté un Sharp X68000 alors qu’il était encore au lycée ?
Oui. Ça nous en a bouché un coin.
J’imagine ! (rires) En matière de jeux vidéo à cette époque, cette machine surpassait les autres modèles de très loin.
Je me suis même acheté des logiciels pour sa machine et j’allais chez lui pour pouvoir y jouer. J’étais très jeux d’arcade, alors que Takagi, lui, bien qu’il ait acheté un Sharp X68000, préférait acheter des jeux créés pour la console.
Même si de nombreux jeux d’arcade étaient disponibles sur Sharp X68000.
Oui. Le Sharp X68000 était accompagné de Gradius18, alors je lui ai demandé : « Pourquoi est-ce que tu ne joues pas aux jeux d’arcade ? » Voilà à quoi ont ressemblé mes années lycée.18. Gradius : jeu de tir en arcade commercialisé par Konami Corporation en 1985. Par la suite, des versions sont sorties sur différentes plateformes. Afin de promouvoir les capacités de l’ordinateur, le Sharp X68000 était vendu avec une version du jeu quasi équivalente techniquement à la version d’origine.
Les jeux vidéo ont occupé une énorme place dans votre vie au lycée.
Oui. Pour tout vous dire, j’ai si peu travaillé au collège que j’ai raté mon examen d’entrée au lycée. Je suis allé dans une école préparatoire pour le lycée, et je n’ai jamais autant joué aux jeux vidéo que cette année-là. Mon collège et mon lycée étaient en banlieue, mais la prépa était juste en face de la gare. Alors quand j’y allais, je m’arrêtais dans la salle d’arcade tous les jours.
Ha, ha ! (rires)
Que ce soit chez moi ou ailleurs, je pouvais jouer aux jeux vidéo tous les jours. Les jeux vidéo faisaient déjà entièrement partie de ma vie.
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