Lors de notre dernière session, j’ai interrogé Hino-san au sujet du Professeur Layton, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de parler d’Ace Attorney, alors je tiens vraiment à le faire aujourd’hui.
Je vous en prie !
Qu’est-ce qui a inspiré la série au départ ?
En fait, j’ai toujours aimé les mystères et j’ai rejoint l’équipe de Capcom car je voulais créer des jeux d’enquête. Bien évidemment, je ne l’ai pas fait dès que j’ai intégré la société, et j’ai commencé par travailler sous la direction de Shinji Mikami9 sur un jeu intitulé Dino Crisis10.9. Shinji Mikami : il a dirigé le studio Capcom Production Studio Four. Il a travaillé comme réalisateur ou producteur sur plusieurs épisodes de la série Resident Evil.. Il est actuellement directeur général de Tango Gameworks.10. Dino Crisis : série de jeux de survival horror dans lesquels les joueurs affrontent des dinosaures. Le premier jeu Dino Crisis est commercialisé par Capcom en Europe en juillet 1999.
Un jeu d’un tout autre genre !
Tout à fait ! (rires) Après la sortie du deuxième titre Dino Crisis en 2000, Capcom a lancé un projet interne et nous accordait un an pour travailler sur ce qu’on voulait. Ce projet était destiné à développer les compétences des plus jeunes membres de l’équipe. « C’est ma chance ! », je me suis dit. Et j’ai commencé à réfléchir aux principes de base de mon projet pour Ace Attorney, projet que j’avais mis en veilleuse jusque-là.
Ce projet initial était-il semblable au jeu qui existe aujourd’hui ?
Avant toute chose, j’ai commencé par réfléchir à un concept pour le système de jeu, mais je crois que le projet de base était assez valable. Dans les précédents jeux d’enquête, le style de jeu consistait pour le joueur à choisir une option – A, B ou C – pour agir. Je voulais créer une nouvelle sorte d’interface pour aboutir aux déductions et résoudre les mystères.
Faire choisir une option parmi plusieurs options proposées correspond au style des jeux d’aventure classiques, n’est-ce pas ? Le genre de jeux créés par Yuji Horii11.11. Yuji Horii : créateur de la série Dragon Quest et grand nom de l’industrie du jeu dont la carrière a commencé avec la naissance de la Famicom (appelée NES - Nintendo Entertainment System - en Europe). Avant de travailler sur des jeux Famicom, il a également participé à la création de plusieurs grands jeux d’aventure commercialisés au Japon.
C’est exact. J’ai vraiment cherché à rendre les déductions du joueur plus tangibles et intuitives. Je me disais que, si nous pouvions affiner la façon de « repérer les mensonges », cela permettrait d’établir un lien plus naturel avec les déductions du joueur qu’en sélectionnant des options à l’écran.
Oui. En observant ce qui se trouve sous leurs yeux et en repérant les éléments qui semblent inappropriés, les joueurs peuvent avoir des réactions plus logiques, plus précises.
De plus, les règles sont agréables et claires. Comme organisation d’un jeu de déduction, la construction est exactement la même que pour la méthode de « sélection d’options » : s’il y a trois déclarations de témoins et cinq éléments de preuve, vous avez un total de quinze options à sélectionner.
Le système est clair, tout en permettant une intensité de jeu, c’est ça ?
Oui. Une fois ce concept de système clair dans ma tête, j’ai décidé que le personnage principal du jeu devait être avocat. Je voulais trouver quelque chose de nouveau, autre chose qu’un détective, et je me suis dit qu’il n’existait pas de jeu dans lequel vous incarnez un avocat, plaidant pour ses affaires dans une salle d’audience.
Et comment les personnes autour de vous ont réagi devant ce projet initial ?
Pas très bien ! (rires) Quand les gens ont entendu les mots « avocat » et « salle d’audience », ils ont imaginé quelque chose en rapport avec le milieu juridique, quelque chose de difficile et compliqué. J’ai préparé mes documents sur la conception pendant mes congés d’été, et Mikami-san m’a téléphoné chez moi pour me dire de renoncer à cette idée !
(rires)
Je n’en croyais pas mes oreilles ! Je pensais qu’on allait me féliciter de travailler pendant mes congés ! (rires) Je crois que j’ai canalisé le choc de ce coup de fil dans l’écriture de ces documents de conception. J’avais besoin de faire valoir qu’un thème juridique ne signifiait pas nécessairement que le jeu serait difficile et formel. Je me suis donc plutôt concentré sur les personnalités des personnages et sur l’idée de trouver les incohérences dans les témoignages et de mettre en doute les éléments de preuve.
Ah, c’est le contrecoup de l’appel de Mikami-san qui a inspiré le système de jeu d’Ace Attorney !
On dirait, oui. J’ai le sentiment que ce coup de fil a vraiment permis de renforcer la mise au point d’Ace Attorney. Vous avez réagi de manière positive face à la critique et à l’opposition des personnes autour de vous car vous vouliez créer un jeu qui puisse leur plaire. Je crois qu’on pourrait dire qu’Ace Attorney est le résultat de cette volonté.
Oui. Je voulais que ce soit un jeu facile à comprendre. Pour ce qui est du système de jeu, l’idée de départ était de laisser le joueur entendre tout le procès, puis de lui demander de déceler les mensonges qui ont été dits. Nous avons modifié cela pour que le contre-interrogatoire soit divisé en sujets, et que, une fois que le joueur a terminé une section, il passe à la suivante. L’idée d’un jeu dans lequel vous identifiez des incohérences dans ce que quelqu’un vient juste de dire me plaisait vraiment beaucoup. Ainsi, nous avons divisé l’histoire principale en plusieurs brèves sections, donnant ainsi au joueur davantage d’opportunités de faire des déductions.
Je vois. Voilà un bel exemple où des avis opposés ne constituent pas une mauvaise chose en soi. En fait, cela montre que des avis divergents peuvent permettre de résoudre les problèmes.
Je suis tout à fait d’accord avec cela.
Je crois que si on dit souvent que les jeux Ace Attorney produisent une sensation de « bien-être » chez les joueurs, c’est à votre capacité à résoudre les problèmes de façon ingénieuse qu’on le doit. En étiez-vous conscients dès le départ ? Y avez-vous prêté une attention particulière lors de la création du jeu ?
Pour être honnête, je ne pense pas que nous en avions conscience. Nous ne disposions que d’une petite équipe de sept personnes à l’époque, et nous essayions simplement de créer quelque chose d’amusant. C’est là que nous avons puisé notre énergie. Dès le début, nous voulions créer quelque chose qui puisse se jouer avec un bon rythme. Mais, à l’époque, pour créer ce rythme, les développeurs de jeux sur consoles portables s’en remettaient à nous pour décider du bon timing pour les sons pendant le gameplay ou pour les textes à l’écran. D’une certaine façon, le format de base des jeux Ace Attorney est le résultat de notre volonté d’accentuer ces aspects pendant la conception du jeu original.
J’ai le sentiment que de nombreux jeux privilégient tellement le système de jeu que cela restreint les histoires qu’ils peuvent raconter. Et ces jeux ne sont, au final, pas aussi amusants qu’ils pourraient l’être. Comment avez-vous fait pour éviter cela avec Ace Attorney ?
Hmm. Nous avons peut-être simplement eu de la chance...
Ah ah ! (rires)
Quand nous avons créé le premier jeu, j’étais tout nouveau dans le milieu. Je n’avais peur de rien. J’étais complètement absorbé dans l’écriture du scénario, et j’ai remis à plus tard tous les calculs compliqués ou décisions difficiles qui devaient être faits. Par exemple, le deuxième chapitre du premier opus devait être le premier chapitre à l’origine, ce qui aurait fait commencer le jeu par la mort d’un personnage important...
En effet ! (rires)
Autour de moi, on m’a dit que c’était trop soudain, alors j’ai glissé l’actuel premier chapitre pour présenter convenablement le personnage et emmener ainsi le joueur jusqu’au deuxième chapitre. Quand le jeu est sorti, beaucoup ont trouvé cet événement très choquant ! (rires) J’imagine qu’on s’attend moins à ce qu’un personnage qui vient d’être présenté avec soin se fasse soudainement tuer. Je n’avais pas vraiment calculé que cela ferait cet effet, alors j’ai été vraiment surpris par ces réactions.
Donc il ne s’agissait pas tant d’éviter des méthodes testées et éprouvées, mais le fait est que ces méthodes n’existaient pas pour vous au début. Et le reste est dû au talent, bien sûr.
C’était la première fois que j’écrivais un scénario alors je ne connaissais pas vraiment de techniques ou autre. Une fois le jeu sorti, j’ai beaucoup appris des opinions et réactions des gens qui y ont joué. J’ai vraiment eu l’impression que Phoenix et moi apprenions ensemble, gagnant en expérience.
Vous savez, pour moi, vous y aviez trop réfléchi...
Eh bien, j’en suis heureux ! (rires)
(rires)
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