Bien, maintenant je voudrais savoir pourquoi vous avez décidé qu’il y aurait trois jeux distincts ?
Pour tout vous dire, quand nous avons fait Awakening, nous pensions que ce serait le dernier jeu de la série.
Ah…
Hatano-san (Shinji)28, qui dirigeait le département des ventes, a dit : « La série Fire Emblem n’atteint pas les chiffres escomptés, alors ce sera le dernier. » Et les membres de l’équipe se sont dit : « Comme ce sera le dernier, donnons tout ce qu’on a pour ne rien regretter. » Ensuite, nous avons établi une liste des choses que nous voulions faire et ça a donné Awakening.28. Shinji Hatano : ancien directeur exécutif et directeur des ventes de Nintendo.
Je me souviens que vous aviez dit : « Nous allons faire en sorte de n’avoir aucun regret. »
Et le jeu s’est plutôt bien vendu.
Nous avons réalisé de gros bénéfices. C’est le jeu de la série Fire Emblem qui s’est le mieux vendu à l’étranger.
Oui. À ce moment-là, Hatano-san a totalement changé de discours et nous a demandé : « Le prochain est prévu pour quand ? »
Alors qu’il avait dit que ce serait le dernier. (rires)
(rires)
Nous avons répondu : « Quoi ? On pensait que ce serait le dernier ? » Et il a dit : « Bien sûr, c’est comme ça que ça fonctionne au niveau des ventes. Si un produit se vend, on pense à la suite. » Alors nous avons parlé à toute l’équipe d’Intelligent Systems et nous leur avons dit : « Maintenant, il va falloir se dépêcher de sortir la suite. »
Vous aviez tellement insufflé d’idées dans le projet que vous deviez en être à court.
Oui. Nous n’avions plus d’idées, alors nous nous sommes dit « Qu’est-ce qu’on fait ? » On a réfléchi à des idées, mais tout le monde était à court d’idées et nous n’avons rien trouvé de vraiment innovant. Et là, je me suis souvenu de quelque chose et j’ai dit à Maeda-san : « Oh oui, il y a une chose que je voulais faire. »
De quoi s’agissait-il ?
Dans le premier jeu Fire Emblem29, selon le village où vous alliez, vous ne pouviez choisir qu’Arran ou Samson30. Mais quel que soit le personnage que vous choisissiez, l’histoire ne changeait pas. Quand j’ai dit : « Ah, j’aimerais bien pouvoir changer ça... », mon chef de l’époque m’avait répondu : « Ce n’est pas possible parce que la mémoire est limitée. »29. Le premier jeu Fire Emblem : Fire Emblem: Shadow Dragon and the Blade of Light. Jeu de rôle tactique commercialisé uniquement au Japon sur NES en avril 1990.30. Arran et Samson : personnages du premier jeu de la série Fire Emblem. Arran est un paladin et Samson est un héros. Vous ne pouvez en choisir qu’un en tant qu’allié.
Ça remonte à l’époque de la NES.
Je me souviens que ça pouvait paraître complètement futile à l’époque, mais j’ai dit : « Maeda-san, vous n’aimeriez pas jouer à un jeu où vous verriez ce qu’il se passe selon le camp que vous choisissez ? Je veux essayer de faire ça ! »
(opine du chef plusieurs fois)
Ensuite, je me suis dit que si on les vendait dans deux versions séparées31, les gens pourraient choisir celle qu’ils veulent en se demandant « Laquelle dois-je acheter ? » J’étais vraiment très motivé quand j’en ai parlé à Maeda-san et il a dit : « Je vais y réfléchir. » Quelques jours plus tard, il est venu me voir et il m’a dit : « Yamagami-san, je suis totalement d’accord pour créer deux jeux, mais je pense qu’il faudrait aussi pouvoir ne choisir aucun des deux camps. Nous allons donc en faire trois. »31. Deux versions séparées : deux versions du jeu seront commercialisées au Japon. Le mode de distribution des trois scénarios en Europe sera dévoilé courant 2015.
Donc un de plus.
J’ai dit : « Celui-là va nous donner du fil à retordre », mais ensuite j’ai dit : « J’aime l’idée qu’on ne s’allie avec aucun des deux camps. Allons-y ! »
Maeda-san, pourquoi avez-vous décidé cela, alors que vous aviez conscience que ça allait être difficile ?
Je me suis dit que le fait de pouvoir s’allier au camp A ou au camp B était une chose très intéressante, mais je me suis mis dans la peau des joueurs, et je me suis dit qu’ils voudraient pouvoir ne s’allier à aucun des deux. C’est très intéressant de se demander ce que pourrait devenir le monde si vous ne vous rangiez pas du côté d’un pays ou de l’autre. Pour moi, créer trois histoires semblait logique.
Donc vous avez accepté votre sort en tant que réalisateur dans l’intérêt du jeu.
Oui. Et je ne voulais pas seulement changer quelques éléments par-ci par là dans chaque jeu. Je voulais vraiment que tout change selon chaque scénario. Alors à l’époque, je me suis dit : « Il va aussi falloir qu’on crée de la matière pour travailler. »
Et ensuite, vous avez demandé à Kibayashi-san d’écrire le scénario.
Oui, voilà.
Mais même si nous avons demandé à Kibayashi-san d’écrire le scénario, je savais que le travail serait énorme. Par exemple, lors d’un combat, nous aurions pu utiliser la même carte, faire venir l’armée A d’un côté et l’armée B de l’autre, et nous aurions retourné la carte pour faire des économies. Mais finalement, nous n’avons quasiment rien recyclé.
Vous avez créé une nouvelle carte pour chaque affrontement.
Oui. Et nous ne pouvions pas non plus réutiliser les scénarios.
En parlant du scénario… Au début, je pensais que les pays A et B seraient considérés comme des adversaires, mais ça n’a pas été le cas…
Même si vous pensez vous ranger du côté du mal, finalement, ce n’est pas le mal absolu. De la même façon, si vous vous rangez du côté du bien, tout n’est pas rose…
Ce ne sont donc pas des opposés parfaits. Nous les envisageons plutôt à un angle de 45 degrés.
Que voulez-vous dire par un angle de 45-degrés ?
Ça veut dire que ce ne sont pas de simples antagonistes. Il y a des gens bons dans les deux camps...
Ce n’est pas une histoire où il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Chaque camp a ses propres motivations, et quel que soit votre point de vue, il y a un sens de la justice sous-jacent…
Tout à fait. Tous les personnages sont des gens simples et bons qui suivent leurs convictions. Mais vous devez choisir qui vous voulez soutenir et le choix n’est pas facile à faire. Plus l’histoire va progresser, plus vous allez peut-être ressentir de remords par rapport au camp contre qui vous vous battez.
Kibayashi-san, sur quoi avez-vous choisi de vous focaliser lors de l’écriture de l’histoire ?
Je voulais tirer des larmes aux joueurs.
Je crois que l’univers de Fire Emblem s’y prête parfaitement bien.
Tout à fait. Et avec ce scénario, vous vous dites : « D’un côté, je voudrais m’allier aux deux royaumes, mais d’un autre côté, je ne veux m’allier à aucun des deux. » C’était donc facile d’ajouter des éléments qui fassent pleurer les gens ou des événements vraiment touchants. Bien sûr, il est question de trahisons.
C’est vrai. Puisque le camp que vous n’avez pas choisi devient votre ennemi.
Et cela signifie que les mots des ennemis font mal.
Tout à fait.
Comme : « Tu nous as trahis ! »
Alors pendant que j’écrivais, je me suis tellement identifié au protagoniste et à ce qu’il pouvait ressentir que je me suis parfois dit : « Je viens de faire une chose horrible ! » (rires)
(rires)
Et quand on trahit quelqu’un, c’est assez déprimant et on se dit : « C’est le point de non-retour. » Mais d’un autre côté, vous vous dites : « Il faut que je résolve ça. » Et je crois que ça vous motive pour avancer.
Ça me donne envie de jouer dans les deux camps.
Non, dans les trois ! (rires)
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