Les développeurs ont la parole, Vol. 12, Emio – L'Homme au sourire : Famicom Detective Club – Chapitre 2
05.09.2024
Certaines des images et vidéos présentées dans cette interview ont été créées lors du développement.
Le contenu de cet article a été publié à l'origine en japonais.
Chapitre 2 : Un tout nouveau Famicom Detective Club
À l'époque où vous travailliez sur ces remakes, saviez-vous que vous feriez ce jeu, Emio – L'Homme au sourire : Famicom Detective Club ?
Sakamoto :
Non, pas du tout. Nous n'avions pas décidé de développer un nouveau jeu Famicom Detective Club lorsque nous travaillions sur ces deux remakes.
Miyachi :
M. Sakamoto, après avoir terminé le développement de Famicom Detective Club PART II: The Girl Who Stands Behind sur Family Computer Disk System, vous avez dit que vous ne pouviez plus écrire de nouvelles histoires, c'est ça ?
Sakamoto :
Oui. Je déclarais au monde entier que je ne pouvais plus continuer à écrire. Je l'ai même clamé dans un artbook (1) il y a encore peu. Mais j'avais toujours gardé en moi cette envie de créer quelque chose de nouveau. Je me faisais des listes d'idées et l'une d'entre elles me trottait dans la tête. Il s'agissait d'une scène de crime où l'on retrouvait un corps avec un sac en papier sur la tête. Je me disais que ce serait assez effrayant.
Donc, même si je n'avais pas commencé à écrire l'intrigue à l'époque, j'avais dit à Mme Miyachi que j'avais en tête une histoire intitulée Emio (l'homme au sourire) et elle m'avait répondu : « Waouh, ça a l'air intéressant ! »
(1) L'édition collector de Famicom Detective Club: The Missing Heir et de Famicom Detective Club: The Girl Who Stands Behind pour Nintendo Switch, uniquement disponible au Japon, était accompagnée d'un livret spécial. Ce livret proposait des informations sur le développement et des interviews des développeurs.
Même si vous aviez dit à tout le monde que vous ne pouviez plus écrire ? Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?
Sakamoto :
À mesure que je travaillais sur les deux remakes avec MAGES., ces jeux sont devenus plus que des remakes. En voyant la grande palette d'expressions et la possibilité d'aller encore plus loin en termes de qualité d'animation, j'ai réfléchi sérieusement à créer quelque chose de nouveau et c'est là qu'est venue la motivation d'écrire une nouvelle histoire.
Miyachi :
Quelques mois après que M. Sakamoto m'en a parlé pour la première fois, je lui ai demandé : « Ça avance, cette histoire d'Emio ? J'ai hâte ! »
Sakamoto :
J'ai interprété cette question à ma façon : « Quelqu'un que j'ai toujours voulu intégrer à mon équipe de développement me pose ces questions... Je vois où elle veut en venir. Elle veut participer au projet ! » (rires) Je me suis dit qu'il fallait que je me mette sérieusement à l'écriture de cette histoire.
Miyachi :
Je n'ai jamais dit que je voulais participer au développement. J'avais juste vraiment hâte de voir ce jeu. (rires)
Sakamoto :
Je ne pouvais pas développer un nouveau jeu tout seul, mais si Mme Miyachi acceptait de travailler avec moi et si MAGES. voulait se joindre à nous, je me suis dit que le moment était venu et je me suis lancé dans l'écriture du scénario.
Comment écrivez-vous le scénario d'un jeu ? Est-ce que c'est un processus fluide ?
Sakamoto :
Pour commencer, vous devez pondre une histoire intéressante et bien structurée, avec beaucoup de rebondissements. Cela forme la charpente de mon intrigue. Si elle n'est pas assez bonne, je réécris tout. Les mauvais jours, il m'arrive de ne rien écrire. (rires) Mais quand je suis lancé, les différentes idées éparpillées se relient et le puzzle prend forme.
Miyachi :
Quand je le vois, je n'arrive pas à dire si c'est un bon jour ou un mauvais jour.
Sakamoto :
Oui, jusqu'à ce que j'arrive avec mes demandes un peu folles ! (rires)
Des demandes un peu folles ?
Sakamoto :
Quand je n'avance pas sur l'écriture, j'ai vraiment du mal à aller de l'avant. Et puis, quand ça avance bien, j'ai peur que cet élan disparaisse. J'ai du mal à inventer des noms de lieux ou de personnages. Donc, si je veux réfléchir à ces détails pour donner de l'épaisseur à l'histoire, je dois faire une pause.
Mais je ne veux pas arrêter. J'attends qu'une personne de confiance réfléchisse à ma place. C'est à ce moment-là que je me disais : « Cette personne, je la connais ! » (rires)
Miyachi :
(rires)
Je vois. Donc, Mme Miyachi vous a aidé à donner plus d'épaisseur à l'intrigue. Mme Miyachi, qu'est-ce que M. Sakamoto vous demandait ?
Miyachi :
Au début, il m'avait demandé de trouver des noms pour les personnages et les lieux, mais les informations dont je disposais étaient si réduites qu'il était même difficile de réfléchir à un nom. (rires) Pour chaque personnage, je disposais en tout et pour tout d'une ligne ou deux expliquant qui ils étaient. Je ne connaissais pas leur rôle dans l'histoire ni les événements les concernant.
Je suis donc allé voir M. Sakamoto pour en savoir plus, mais il m'a simplement répondu : « ... Je ne peux rien vous dire. » (rires)
Vraiment ?
Miyachi :
Il me demandait aussi d'inventer des événements importants qui relanceraient l'enquête.
Là aussi, sans savoir grand-chose ?
Miyachi :
Voici le résumé qu'il m'avait fait : « Un frère aîné agit pour le bien de sa sœur, mais cela la met en colère. » Rien de plus. Je n'avais aucune idée du moment où cet événement aurait lieu ni même la raison ni comment il avait débuté. J'étais perdue. (rires) C'était vraiment une demande un peu folle.
J'avais quand même eu quelques idées, mais M. Sakamoto avait répondu : « Ça ne va pas. Ça non plus. » Puis, j'avais changé mon fusil d'épaule et je lui avais donné une autre idée. Là encore, c'était : « Ce n'est pas ça non plus. Je veux que le grand frère soit plus comme ci et comme ça. » (rires)
Sakamoto :
D'accord, mais j'avais une bonne raison de garder ces informations pour moi. Je voulais que Mme Miyachi lise le synopsis complet pour qu'elle me dise si c'était intéressant ou non. Cela n'aurait servi à rien qu'elle le lise en connaissant déjà une partie de l'intrigue. J'ai donc veillé à ne rien lui dévoiler du scénario, tout en lui faisant égoïstement des demandes, comme me donner des idées pour des éléments clés de l'intrigue. (rires)
C'est ainsi qu'elle m'a donné des noms de lieux qui avaient du sens et qui formaient un décor, mais aussi des noms de personnage qui donnaient un peu de leur personnalité. Quand nous avons trouvé l'événement qui allait donner son sens à l'histoire, nous étions tous très euphoriques et nous nous sommes dit : « C'est là que nous mènent les demandes un peu folles. »
Miyachi :
Eh bien, c'était vraiment comme un miracle... Maintenant que j'y pense, l'une des demandes un peu folles que j'ai reçues était de dessiner des visages souriants.
J'en ai dessiné plusieurs, en me remémorant quand j'étais enfant ou même en en dessinant certains avec ma main non dominante. À la fin, il a combiné les yeux et la bouche de deux de mes dessins, a ajouté un nez et c'est cette image que nous avons utilisée sur le sac de papier que l'on voit dans les scènes importantes. (rires)
Effectivement, c'est une demande un peu folle. J'ai remarqué que M. Sakamoto avait écrit le script des jeux précédents de la série, mais cette fois, Mme Miyachi a également participé à la création d'éléments clés de l'histoire.
Sakamoto :
Quand quelqu'un d'autre écrit des dialogues, j'ai l'impression qu'ils ne correspondent pas aux personnages. Jusqu'à maintenant, je pensais que mes dialogues étaient plus dans le ton de Famicom Detective Club. Les lignes des personnages étant de moi, c'était d'une certaine manière un peu de ma personnalité qui transparaissait. Autrement dit, un personnage avait beau être unique, ce qu'il disait ne pouvait pas dépasser les limites de mon imagination. Cette fois-ci, je voulais créer un titre Famicom Detective Club entièrement nouveau, mais ce n'était pas possible si j'écrivais l'histoire moi-même.
Cela montre à quel point vous vouliez quelque chose de nouveau.
Sakamoto :
Bien entendu, nous devions garder l'univers de la série Famicom Detective Club, mais je voulais aussi que ce jeu parle à un public plus large. Je puise dans plusieurs sources d'inspiration pour mes propres jeux, mais les autres générations n'ont pas vécu la même chose et ont donc des sources d'inspiration différentes.
Je ne saurai jamais écrire avec leurs mots. Donc, en partageant avec quelqu'un d'une autre génération ce que je gardais pour moi, je me suis dit que nous pourrions élargir la palette des expressions utilisées dans ce jeu Famicom Detective Club.
Je vois. C'est donc là que Mme Miyachi a fait son entrée.
Sakamoto :
Mme Miyachi et moi avions collaboré sur les remakes des jeux précédents pendant la pandémie de COVID-19 et nous avions souvent discuté par chat. J'avais aussi eu l'occasion de lire ce qu'écrivait Mme Miyachi en dehors des remakes du jeu Famicom Detective Club. Ses mots et son rythme me plaisaient. Lorsque j'écris des histoires, je mets plus l'accent sur la précision des formulations ou la façon dont un mot résonne que sur le fait d'utiliser des mots compliqués, comme un romancier.
Mais il y a aussi une certaine façon de créer des jeux Famicom Detective Club qui fait la patte de M. Sakamoto, non ? Je ne pense pas que ce soit quelque chose qu'on apprenne du jour au lendemain. Comment y êtes-vous arrivée, Mme Miyachi ?
Miyachi :
M. Sakamoto m'a envoyé différentes œuvres qui lui paraissaient indispensables pour illustrer ce qu'il cherchait. Un jour, en plein développement, j'ai eu la surprise de recevoir plusieurs DVD, dont certains allaient vers le gore ou l'horreur. M. Sakamoto a insisté pour que je les regarde... Je lui ai dit : « Ce n'est vraiment pas mon truc », mais il a insisté : « Je vous en prie. Vous devez les visionner. » J'ai donc pris mon courage à deux mains et ils étaient... relativement intéressants. J'ai beaucoup appris et j'ai compris ce que M. Sakamoto voulait faire passer.
Sakamoto :
Dans ce jeu, les pauses, l'utilisation des sons, les coupes et les transitions viennent toutes de ce que j'ai vu. Je voulais donc que Mme Miyachi voie ces différents films pour comprendre d'où je tirais mon inspiration. J'ai voulu lui expliquer dès le début comment je voulais réaliser ce jeu. Oh, et Mme Miyachi m'a aussi dit ce qu'elle aimait.
Miyachi :
Je lui ai recommandé certains mangas en lui disant : « Vous devez les lire. Il y a des tonnes de rebondissements dramatiques. »
Sakamoto :
Et ils étaient clairement très dramatiques. (rires)
Ainsi, vous avez partagé vos différentes inspirations. À ce propos, M. Sakamoto, vous avez mentionné que vous intégriez des techniques proches du cinéma dans vos jeux et ce, dès la première version de Famicom Detective Club PART II: The Girl Who Stands Behind. Aviez-vous déjà à l'esprit la réalisation lorsque vous étiez en train de créer le scénario ?
Sakamoto :
Tout à fait. Même lorsque j'écris le scénario, j'essaie d'imaginer des événements tout en gardant à l'esprit la façon dont on les mettra en scène. Une fois l'intrigue posée, l'étape suivante consistait à acheter une marionnette en bois qu'on utilise pour le dessin et à l'utiliser pour créer un storyboard animé en plaçant des images en guise de décors. J'ai beau être diplômé des beaux-arts, je ne sais pas dessiner... J'en ai bavé, mais c'est comme ça que j'ai réussi à transmettre ce que je voulais.
Miyachi :
J'étais vraiment heureuse que M. Sakamoto nous ait montré l'image qu'il avait en tête afin que nous puissions comprendre d'un simple coup d'œil. J'ai aussitôt vu ce qu'il voulait obtenir.
Sakamoto :
Comme dans toutes les histoires de la série Famicom Detective Club, nous veillons à ce que les pensées du tueur soient dépeintes. On ne choisit jamais des personnes qui tuent sans raison. Nous prenons toujours garde de décrire le contexte ainsi que l'état d'esprit de l'assassin. Cela change la façon dont les joueurs voient l'histoire.
Je comprends. Il ne s'agit pas de simplement montrer des crimes brutaux.
Sakamoto :
À titre personnel, j'aime beaucoup les histoires qui font peur, mais je n'aime pas les scènes gores où il y a du sang partout. Je trouve beaucoup plus intéressant qu'une peur indicible et glaçante s'installe peu à peu. Dans certaines scènes, il fallait montrer du sang parce que cela avait du sens, mais je n'ai jamais eu l'intention de me concentrer sur cette brutalité.
Miyachi :
C'est l'un des points précis sur lequel M. Sakamoto ne lâchait rien. Je pense qu'il existe plusieurs façons de décrire l'horreur et nous ne voulions pas beaucoup de scènes avec du sang. Au contraire, nous nous retrouvions sur le fait qu'il fallait plutôt laisser l'imagination des joueurs travailler plutôt que de montrer des scènes d'une telle brutalité.
Sakamoto :
Ce n'est pas uniquement pour des raisons morales, mais aussi parce que mon objectif avec la série Famicom Detective Club, c'est de donner aux joueurs un sentiment de peur psychologique, qu'ils pensent que ça pourrait leur arriver. En instillant cette peur grâce à des expressions du visage et en choisissant les mots, le rythme et la musique appropriés, nous avons réussi à développer ce jeu tout en conservant l'atmosphère unique propre à la série Famicom Detective Club.