Commençons par parler de la façon dont le développement de la Nintendo DSi a débuté. C’est vous, Kuwahara-san, qui avez commencé à travailler sur ce projet, n’est-ce pas ?
Oui. Je m’appelle Masato Kuwahara et je travaille au service de l'ingénierie et du développement (DED). Tout a commencé vers la fin de l’année 2006, lorsque mon responsable m’a fait travailler sur une nouvelle DS en me demandant de mettre au point une proposition pour la fin décembre, présentant brièvement le type de système que nous voulions créer.
Vous n'aviez pas beaucoup de temps.
Ça, c’est sûr ! Et il nous fallait élaborer la plupart des spécifications de la puce interne avant février 2007. Nous avons dû avancer à un rythme incroyable. De la planification à la définition des spécifications, nous sommes allés d’une chose à une autre sans faire de pause. C'était assez intense.
Pendant cette période, aviez-vous une préoccupation ou un objectif particulier en tête ?
Ce qui était difficile, c’était de développer le projet tout en gardant présent à l’esprit la façon dont il serait vendu. Ce que je veux dire, c’est que ne s’agissant pas d’un périphérique complètement nouveau, on ne pouvait prévoir de sortir simultanément plusieurs gros titres avec la console.
Parce qu’il ne s’agit pas d’une plateforme entièrement nouvelle. C’est la troisième console de la gamme Nintendo DS.
Tout à fait. Donc, en deux mots, nous devons pouvoir vendre la console toute seule. Elle doit aussi pouvoir se mêler au marché DS existant.
Tout à fait.
Cela a suscité un peu de frustration chez moi. Je ne pouvais pas avancer au maximum de mes capacités, mais si je n’avançais pas, il n’y aurait pas de nouveauté. C’était un vrai dilemme.
En d’autres termes, vous vous seriez senti plus libre si vous aviez pu faire abstraction des précédents technologiques et du marché existant pour la DS. Mais puisque vous deviez vous restreindre à la plateforme DS, ça a été très difficile de trouver comment faire preuve d’innovation dans le cadre imparti.
Oui.
En dépit de ces restrictions, par rapport à la DS Lite, la DSi présente un assez grand nombre de nouveautés. Vous souvenez-vous de la première sur laquelle vous vous soyez arrêtés ?
Voyons... La première grosse nouveauté a été les appareils photo numériques. Cela avait du sens de commencer par là puisque cette nouveauté influerait sur la façon de jouer et qu’elle serait aisée à comprendre.
Au départ, l’écran tactile de la DS représentait son toucher et la prise microphone ses oreilles. Je me souviens du moment où j’ai entendu quelqu’un dire, assez tôt dans le projet, que nous devions donner des yeux à la console. Il y en a donc deux – un sur la coque externe et un à l'intérieur, lorsqu’on ouvre la console . Pouvez-vous me donner la raison ou le contexte de cette configuration ?
Pour faire simple, un appareil photo numérique est placé à l’extérieur pour prendre des photos d'objets ou de personnes, comme on le ferait avec un appareil photo numérique classique. L’appareil photo numérique intérieur permet de vous prendre vous-même en photo lorsque vous jouez. C’est la raison pour laquelle il y en a deux. Au tout début, nous pensions qu’il était inutile d’en avoir deux – qu’il était suffisant d’en avoir un que l’on pouvait faire pivoter – mais l’intégration au corps de la console d’un nouveau mécanisme de pivot aurait eu pour effet d’accroître le coût du seul fait de cet élément ainsi que la taille globale de la console. C’est pourquoi nous avons finalement décidé que, dans l’ensemble, il était préférable d’avoir deux appareils photo numériques.
La question de la durabilité s'est également posée. Nous avons discuté du fait qu’un mécanisme de pivot pourrait plus facilement se casser, ce qui allait à l’encontre de notre but. Le simple fait d’utiliser un mécanisme de pivot pour l’appareil photo numérique, comme on peut le voir dans les téléphones portables, n’aurait pas satisfait aux normes de qualité de Nintendo.
C’est vrai.
Comment avez-vous décidé du nombre de pixels ?
On pense généralement que plus le nombre de pixels est élevé, mieux c’est – mais ce n’est pas nécessairement le cas lorsque le principal objectif est de donner des « yeux » à une console de jeu. Avec un nombre de pixels plus élevé, la taille physique de l’appareil photo numérique augmente, de même que la quantité de données qu’il doit pouvoir gérer, ce qui accroît considérablement la charge de traitement. Pour un appareil photo numérique classique, où le principal intérêt est de capturer une image, cela suffit d'installer le circuit nécessaire pour le nombre de pixels, mais dans notre cas nous prévoyions d’utiliser cet outil pour diverses applications, raison pour laquelle nous avons opté pour un appareil à 0,3 mégapixels.
Les fabricants d'appareils photo numériques et de téléphones portables se font concurrence depuis quelques années, avec pour résultat un nombre de pixels toujours plus élevé. On peut donc croire que 0,3 mégapixels ce n’est pas beaucoup pour notre époque, mais cela correspond à la résolution 640 x 480. En d’autres termes, cela permet de capturer des images à une résolution 2 fois et demie supérieure à la largeur et la hauteur de l'écran de la DS .
La Nintendo DSi permet d’agrandir une partie de l’image que vous avez prise, sans avoir l’impression que la résolution est trop basse. L’autre problème lié à un nombre élevé de pixels, c’est l’augmentation considérable de la mémoire nécessaire pour enregistrer chaque image.
Lorsque j’utilise un appareil photo numérique qui affiche un nombre élevé de pixels, cela prend tellement d’espace de stocker chaque image que je me retrouve à baisser la résolution au moment d’enregistrer l’image. Nous avons beaucoup réfléchi au bon format pour visionner rapidement les photos l'une après l'autre sur l'écran de la DS. Je suppose que l’on peut dire que nous sommes restés fidèles à la tradition de Nintendo, qui veut que nous utilisions une technologie qui a fait ses preuves.
Mis à part l'appareil photo, quels ont été les autres changements matériels ?
Nous avons adapté la console pour une prise en charge des cartes mémoire SD. Très honnêtement, à un moment de la planification nous n’étions pas sûrs de savoir dans quelle mesure cela améliorerait les possibilités de jeu, mais au final nous sommes contents de l’avoir fait.
Ce dont je me souviens le plus à propos des cartes SD, c’est la façon dont Shigeru Miyamoto a insisté avec force pour leur prise en charge.
Oui, c'est tout à fait vrai.
Au début de la planification, les développeurs logiciels favorables aux cartes SD n’étaient pas majoritaires. L’utilisation de cartes SD augmente la taille, et à ce stade il était difficile de voir clairement ce qu’elles apporteraient au système et ce dont celui-ci manquerait si elles étaient absentes. Mais Miyamoto-san voulait les utiliser. Lorsqu’il lui a été demandé s’il en était certain, il a dit oui et a promis que lui les utiliserait ! (rires)
Oui, c’est ce qu’il a dit. (rires)
Et – j’y reviendrai un peu plus tard – il a ajouté les fonctionnalités audio avec un timing impeccable (rires), avec pour résultat un produit final sensationnel. Cela ressemble tout à fait à Miyamoto-san d’aller jusqu’au bout de ce qu’il dit.
Ça c’est vrai. Personnellement, le côté frénétique de moments comme celui-ci ne me dérange pas. Nous avons brassé pas mal d’opinions et fait tout ce que nous pouvions. J’aime vraiment les fonctionnalités audio du produit final.
Un grand nombre de ces opinions a été exprimé par les développeurs logiciels internes lorsque vous leur avez montré le matériel pendant la phase de planification. Ce qui s’est fait en plusieurs occasions. Avez-vous senti une quelconque pression du fait des opinions exprimées par les développeurs logiciels?
Non, pas vraiment. J’avais reçu tellement d’opinions et de suggestions positives que je me sentais encouragé par celles-ci.
Donc vous ne vous sentiez pas étouffé mais plutôt stimulé par les idées reçues.
Je ne me sentais pas du tout étouffé. Cela m’a vraiment beaucoup aidé et je pense que pour de futurs projets j’aimerais également recueillir les idées de nombreuses personnes.
Lors du développement de la Nintendo DS et du Game Boy Advance, nous n’avons pas fait autant de partage d’idées au préalable, ça se passait davantage comme ça : l’équipe matériel montrait les plans aux développeurs logiciels et disait : « Voici ce que nous avons fait », puis le développement logiciel débutait conformément à ces plans. C’est peut-être la première fois dans l’histoire de Nintendo que nous avons écouté ce qu’avait à dire l’équipe logiciel aux toutes premières phases du développement d'une console de jeu et que nous en avons tenu compte dans les spécifications.
Vraiment ? Je ne le savais pas. Peut-être valait-il mieux que je ne le sache pas ! (rires)
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