Nakano-san, avant d’être terminé, ce jeu a dû connaître quelques tournants majeurs et des améliorations radicales. Avez-vous en tête quelques exemples d’affinements particuliers ?
Laissez-moi réfléchir… Quand nous avons commencé à travailler sur des scènes comportant des images et des sons assez complexes, nous avons bien senti que le résultat serait remarquable. Mais quant à penser que nous y arriverions rapidement...
En ce qui concerne la structure du jeu, nous avons eu très tôt l’impression d’être sur la bonne voie. Mais une fois parvenus aux phases finales de développement, nous avons réalisé qu’il nous manquait une motivation à offrir aux joueurs pour qu’ils suivent cette structure. Le côté affectif des choses ne fonctionnait pas du tout. Nakano-san est comme Hoga-san : l’aspect scénaristique et l’univers d’un jeu ne sont pas ses points forts.
Cela est donc vrai pour tous les deux ?
Je le crains. Il n’y avait aucune amélioration.
Je croyais qu’il suffirait de modifier légèrement quelques codes numériques ici ou là dans le programme, mais ça ne marchait pas comme je l’espérais.
Il n’y avait donc pas d’implication affective du joueur.
Je lui disais que cela ne fonctionnait pas, mais il insistait en répondant qu’il pourrait modifier quelques codes numérique et que le problème serait réglé. Je lui ai donc dit : “Écoutez, pour modifier la réaction affective de quelqu’un, il ne s’agit pas de changer seulement quelques chiffres ! Il y a là quelque chose qui ne va pas, il va donc falloir retrousser vos manches et régler le problème !” Mais il ne semblait toujours pas comprendre ! (rires) J’ai passé beaucoup de temps à le convaincre de se pencher sur la façon de faire des changements qui auraient des conséquences sur les émotions des joueurs.
À quoi ressemblait le projet, à ce moment-là ?
Le gameplay était indéniablement bien en place, mais pour être franc, je me demandais vraiment si tout allait bien du côté de l’héroïne, Elena.
Vous aviez donc des doutes, vous aussi.
En effet. Quand nous avons commencé à travailler sur le jeu, l’idée était que le personnage d’Elena devait être vraiment attrayant et que le jeu tournerait autour d’elle. Mais il s’avérait que s’il était amusant de s’aventurer dans les tours, la motivation initiale pour s’y rendre était plutôt faible. On finissait par négliger Elena.
En la négligeant pour rester de préférence dans les tours, tout le concept du jeu s’effondrait.
C’est exact. Personne ne voulait revenir voir Elena. Tout le monde me disait : “Je m’amuse bien en explorant les tours, pourquoi devrais-je rentrer ?”. J’ai demandé à Nakano : “Vous ressentez la même chose, vous aussi ?” et il n’a pu le nier. Sur les conseils d’Iwata-san, nous avons demandé à certains membres de notre département de jouer au jeu et de nous dire ce qu’ils en pensaient. C’était toujours la même réponse qui revenait : “Les tours sont amusantes, mais retourner voir Elena, c’est vraiment pénible.”
Ce qui voulait dire qu’ils rejetaient la principale caractéristique du jeu. (rire amer)
C’est à ce moment-là qu’une femme de l’équipe qui jouait au jeu a énoncé ce qui est alors devenu une préoccupation clé : “Vous essayez de faire en sorte que les joueurs tombent amoureux d’Elena, n’est-ce pas ?” Nous sommes tous attirés par certaines personnes et pas d’autres pour des raisons qui nous sont propres, donc tenter de créer un scénario dans lequel le joueur doit tomber amoureux de l’héroïne est très difficile. Elle nous a dit : “Le public répondra plus volontiers s’il éprouve de l’empathie face à sa détresse, il voudra faire tout son possible pour l’aider. N’est-ce pas vrai que l’on peut même éprouver ce genre d’empathie pour les animaux et les machines ?” C’est là que tout s’est mis en place.
Elle vous a donc vraiment appris quelque chose.
Tout à fait. Je me suis alors rappelé l’image que Yamakura-san avait tenté de faire passer dans son projet initial et j’ai été convaincu : “Il ne s’agit pas d’amour. Il s’agit pour le joueur d’éprouver de l’empathie et de la compassion.” À ce moment, j’ai déclaré : “Nakano ! J’ai compris ! Voilà ce que nous cherchions !”
(rire)
Nous avons décidé de faire tout ce qu’il faudrait, de modifier toutes les cinématiques qui devaient l’être et d’apporter énormément de changements aux répliques et au comportement d’Elena. Le résultat a été que l’apparence d’Elena après sa transformation en démon avait totalement changé, ce qui signifie que nous avons dû écarter presque toutes les scènes que nous avions créées jusqu’alors.
Les images d’origine que nous avions créées pour Elena après sa transformation auraient pu être perçues comme assez sympathiques pour le joueur. Nous nous sommes alors remis à la planche à dessin et avons modifié les choses pour que le joueur compatisse avec sa détresse.
C’était il y a tout juste un an. Il nous a fallu des efforts frénétiques pour faire tous ces changements.
Mais cela a fait une différence énorme et en a bien valu la peine, au final.
En effet. Après cela, rien qu’après avoir visionné la première scène, nous avons senti que c’était ce que nous cherchions à atteindre depuis le début, dès que nous avons vu le projet de départ. Le gameplay et l’univers du jeu étaient enfin équilibrés on l’on se disait : “Je dois rentrer pour le bien d’Elena !”
Oui, cela a été vraiment difficile.
Je crois que ce jeu détient le record du nombre de noms refusés.
J’ai dû en parler avec vous au moins dix fois.
Le sous-titre “Jusqu’à mon retour près de toi” a été proposé assez tôt et approuvé, mais seul, il aurait été un peu faible. En revanche, nous n’avons pas réussi à nous arrêter sur un titre principal avant la toute dernière minute.
Normalement, je fais en sorte de ne pas m’impliquer trop dans le développement du jeu à proprement parler, mais pour celui-ci, je me suis retrouvé absorbé et incapable de m’enfuir. C’est comme cela que je me suis retrouvé à déclarer de façon totalement catégorique à Iwata-san : “Écoutez, ce titre ne correspond tout simplement pas à l’image du jeu !” (rires)
Mais si un joueur qui n’a pas d’attachement particulier à un jeu voit un titre qui ne l’intéresse pas, alors c’est un échec. Je disais : “Écoutez, une ‘image’ ne peut pas être un moyen de communication efficace auprès des joueurs.” Ces discussions ont duré un bon moment sans réelle conclusion. Je suis certain que chez Ganbarion, on se demandait pourquoi le titre n’avait toujours pas été approuvé.
En effet, et nous avions proposé cinq cent titres. Nous revenions encore et toujours sur les mêmes problèmes.
Cela s’est vraiment fait à la dernière minute. Deux mois tout juste avant le “mastering”. Note de la rédaction : le “mastering” correspond à la phase de développement durant laquelle le programme du jeu est prêt à être envoyé en production.
Mais lorsqu’on joue au jeu, je crois qu’on comprend pourquoi nous avons finalement choisi ce titre, et pourquoi le sous-titre est “Jusqu’à mon retour près de toi.”
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