Nakano-san, en vous repenchant sur le projet, pourriez-vous me parler de l’effort final qui a permis de le terminer ?
Pourquoi ne pas lui parler de la fois où vous avez déclaré : “Ce sera fait en deux mois ?”
Ah, oui. (rires) Eh bien, jusqu’alors, j’avais toujours respecté les délais et quand quelque chose est en place, je déteste le démonter pour le reconstruire autrement. C’est pour cette raison qu’autant que possible, j’essaie d’apporter des ajustements à la structure existante. J’ai donc dit à Yamagami-san : “Ce sera fait en deux mois.” Il m’a répondu : “À quoi bon vous fixer des limites comme cela ? Si vous pensez que quelque chose doit être réglé, passez-y autant de temps que nécessaire pour que le travail soit fait ! Je vais parler du budget avec Iwata-san et obtenir plus de temps !”
C’est vrai ! (rires)
C’est à ce moment-là que j’ai soudain réalisé que j’avais essayé de limiter tous les changements au strict minimum. J’ai compris que ce qu’il manquait à ce jeu, c’est la capacité à faire que le joueur s’y investisse affectivement et que si nous le laissions en l’état, le joueur s’en rendrait compte. Je savais que c’était la partie du jeu sur laquelle nous allions devoir travailler.
Je ne voulais vraiment pas que le projet s’achève avec les choses encore en l’état. Au départ, Nakano-san a déclaré qu’il ferait les choses en deux mois et ne voulait pas revenir là-dessus. Nous avons eu des discussions durant lesquelles je lui ai dit : “Croyez-vous vraiment pouvoir laisser les choses comme ça ? Allons, dites-moi franchement ce que vous en pensez.”
Les échanges ont vraiment été vifs, n’est-ce pas ?
Oui, vraiment.
Il y avait plusieurs autres jeux à l’horizon et je crains de m’être dit que du point de vue de la date de sortie, il valait mieux que cela soit terminé rapidement.
Mais cet engagement affectif avec Elena est au cœur du jeu. Je pressais moi aussi Yamagami-san de régler ce problème.
C’est vrai. Vous m’avez tenu le même genre de propos, Iwata-san. Juste après avoir fini le test et rassemblé les retours, vous m’avez demandé : “Yamagami-san, cela s’est-il vraiment passé comme vous l’aviez prévu au départ ?” Ces paroles ont vraiment fait mouche.
J’ai vraiment beaucoup insisté. Mais si nous avions laissé les choses en l’état, sans atteindre ce que nous cherchions, jamais nous n’aurions réussi à engager le joueur affectivement.
C’est précisément le moment où nous nous creusions la cervelle pour tenter d’amener le joueur à éprouver de l’affection pour Elena, mais en vain. Cela a été une période extrêmement difficile. Mais tout de suite après, nous avons eu ces astuces sur le moyen de parvenir à cet engagement affectif. Après cela, tout s’est mis en place très rapidement. Au final, je suis très content que nous nous soyons concentrés aussi totalement sur la recherche d’une solution.
Oui, c’est vrai. Quand j’ai reçu ce conseil, j’ai senti que nous avions alors ce qu’il nous fallait pour que cela soit fait. Avec l’accord de Ganbarion, nous avons éliminé tous les enregistrements audio réalisés pour Elena, retravaillé ses répliques et les avons réenregistrées.
Oui, après cela, nous nous sommes littéralement terrés dans les bureaux. Nous avons retravaillé toutes les répliques et toutes les scènes d’Elena afin que l’on puisse éprouver de l’empathie avec sa situation déchirante et que l’on ait envie de rentrer auprès d’elle. C’était exactement un an avant la date prévue pour le mastering. Je me suis enfermée dans le bureau et je n’en suis pas sortie. Pour finir, j’ai perdu près de 10 kilos et je ne voulais plus sortir en public. C’est dire à quel point les choses allaient mal. Mais je me rappelais sans cesse ce que vous m’aviez dit lors de ma présentation initiale, Iwata-san : “Surtout, n’oubliez jamais ce à quoi vous voulez parvenir :” Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi nous n’avions pas réussi à atteindre notre but.
Et c’est comme cela que Pandora’s Tower a enfin été terminé.
Oui, et cela a vraiment pris beaucoup de temps. Le problème d’amener le joueur à éprouver de l’empathie pour Elena s’est avéré beaucoup plus complexe que nous ne l’avions pensé au départ, nous n’arrêtions donc pas de perdre de vue la ligne d’arrivée. Après tout, on ne tombe pas soudainement amoureux de quelqu’un dans la vie de tous les jours. C’est après avoir passé du temps avec que l’on se rend compte : “Ah, j’apprécie vraiment cette personne.” En temps normal, c’est assez évident, mais on le perd de vue quand on est absorbé par la création du jeu.
Disons qu’on ne réfléchit pas à ce genre de choses dans la vie quotidienne, non ?
À partir du printemps dernier, j’ai été content de voir que l’attachement affectif que l’on portait à Elena était beaucoup plus fort et que dès que j’ai pu éprouver pour elle de l’empathie, c’est comme si je l’aimais. Tant que nous avons essayé de forcer les joueurs à avoir des sentiments pour elle, ça n’a pas marché. Mais en changeant de tactique et en les amenant à éprouver de la sympathie pour elle, on finit naturellement par en tomber amoureux.
Vous étiez en larmes, n’est-ce pas, Yamagami-san ? (rires)
Oui, c’est vrai ! (rires) Pendant la phase de test, certains disaient : “Je ne crois pas qu’une fille comme Elena dirait ce genre de choses.” En apportant des changements sur la base de ces commentaires, Elena a fini par devenir vraiment elle-même.
Chez Ganbarion, avez-vous aussi eu l’impression que vos sentiments pour Elena se renforçaient ?
Oui, ils sont vraiment devenus plus forts. Après avoir apporté les changements que vous aviez suggérés, l’équipe de développement a senti que l’image d’Elena, qui était jusqu’alors assez floue, était soudain devenue plus nette.
Après le changement de design d’Elena concernant la partie postérieure à sa transformation, on a commencé à entendre : “Oh, pauvre Elena…” On avait vraiment envie de la sauver et il n’y avait pas une seconde à perdre. Ces images collaient aux répliques réenregistrées et j’étais sûr alors que cela marcherait. Nous avions vu le jeu se développer depuis le début, et il provoquait toujours cette réaction intense. C’est comme cela que nous avons su qu’il toucherait certainement ceux qui y joueraient pour la première fois.
Ceci étant dit, cela aurait été un peu trop de n’avoir que des scènes pathétiques, nous avons donc aussi créé beaucoup de scènes lumineuses et positives. Dans ces scènes, Elena chante sous un ciel bleu ou cueille des fleurs, et leur seule vue est réjouissante. Nous ne voulions donc pas seulement provoquer de l’empathie. Nous voulions aussi que les joueurs aient de l’affection pour Elena.
Le résultat, c’est que le personnage d’Elena s’est développé pour devenir une personne forte qui ne perd jamais espoir, quelle que soit la pénibilité de sa situation. On a très envie de la protéger, ce qui fait que si elle subi la moindre petite transformation, on se sent terriblement mal et on finit par s’excuser face à l’écran : “Je suis désolé ! Je suis vraiment désolé ! Si seulement j’étais rentré un peu plus vite, ça ne serait pas arrivé ! Je suis vraiment, vraiment désolé !” (rires)
Sans s’en rendre compte, on finit donc par s’excuser auprès de son écran de télévision.
Exactement. On finit par peser les choses très soigneusement. On apprécie d’explorer les tours, mais on se dit : “Je devrais peut-être rentrer.” L’équilibre entre ces éléments rend vraiment les choses très amusantes.
Une fois l’engagement affectif vis-à-vis d’Elena bien en place, certains membres du Mario Club qui y jouaient s’excusaient même quand ils n’arrivaient pas à empêcher la transformation d’Elena en démon.
Alors, même au Mario Club, ils criaient : “Je suis vraiment désolé !”
En effet. Pour finir, plus personne ne négligeait Elena ou n’avait l’impression que c’était pénible de rentrer. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que nous avions enfin fini par trouver le ton juste pour cet élément du jeu.
C’est vraiment drôle de vous entendre parler de toutes ces émotions sur un ton aussi anodin, Nakano-san !
D’habitude, il ne parle pas de ce genre d’émotions. (rires)
Vous devez avoir raison. (rires)
Et vous, Nakano-san, vous êtes vous mis à vous excuser aussi ?
Oui. Je me suis senti vraiment engagé affectivement dans l’histoire.
À postériori, vous étiez peut-être un peu trop optimiste en disant : “Ce sera fait en deux mois.”
J’ai essayé de m’en sortir sans modifications majeures et maintenant, je m’en sens profondément honteux. (rires)
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