Les développeurs ont la parole, Vol. 9 : The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom – Chapitre 1
24.05.2023
Certaines des images et vidéos présentées dans cette interview ont été créées lors du développement.
Dans ce 9e épisode de « Les développeurs ont la parole », une série d'interviews au cours desquelles les développeurs de Nintendo expliquent avec leurs mots ce qu'ils pensent de la création des produits et des points précis qui leur tiennent à cœur, nous accueillons les développeurs à l'origine de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, sur Nintendo Switch, disponible depuis le 12 mai.
Chapitre 1 : que changer et que garder ?
Pour commencer, puis-je vous demander de vous présenter brièvement ?
Aonuma:
Bonjour ! Je suis Eiji Aonuma, producteur de la série The Legend of Zelda. Quand je suis arrivé sur la série, je m'occupais de la conception des donjons pour The Legend of Zelda: Ocarina of Time (1). J'ai ensuite travaillé comme directeur et producteur de The Legend of Zelda: Twilight Princess (2), et je suis resté à la production depuis.
(1) The Legend of Zelda: Ocarina of Time est sorti en décembre 1998 sur Nintendo 64. L'histoire se distingue par des allers-retours entre l'enfance et l'âge adulte de Link.
(2) The Legend of Zelda: Twilight Princess est sorti en décembre 2006 sur Wii et Nintendo GameCube. Le jeu met en scène un monde des ombres, ou Crépuscule, dans lequel Link se transforme en loup.
Fujibayashi:
Bonjour, je suis Hidemaro Fujibayashi, réalisateur de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Comme je l'avais fait pour The Legend of Zelda: Skyward Sword (3) et le précédent jeu de la série, The Legend of Zelda: Breath of the Wild (4), j'ai proposé l'idée de base de ce jeu et dirigé l'équipe de production.
(3) The Legend of Zelda: Skyward Sword est sorti en novembre 2011 sur Wii. Le jeu faisait usage d'un système de contrôle intuitif tirant parti des fonctionnalités de la télécommande Wii Plus et de l'accessoire Wii MotionPlus. Une version remasterisée du jeu, The Legend of Zelda: Skyward Sword HD, est sortie en juillet 2021 sur Nintendo Switch.
(4) The Legend of Zelda: Breath of the Wild est sorti sur Nintendo Switch et Wii U en mars 2017. Se réveillant d'un sommeil de 100 ans, le protagoniste, Link, doit explorer les vastes et dangereuses contrées d'Hyrule pour retrouver la mémoire. The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom en est la suite directe.
Dohta:
Bonjour, je m'appelle Takuhiro Dohta, je suis le directeur technique du jeu. J'ai travaillé sur plusieurs opus de la série The Legend of Zelda par le passé, mais The Legend of Zelda: Breath of the Wild est le premier sur lequel j'ai été impliqué du début à la fin. Sur ce jeu aussi, j'étais en charge de la direction pour tous les aspects techniques du développement.
Takizawa:
Bonjour, je suis Satoru Takizawa, directeur artistique du jeu. Après avoir rejoint la série pour la première fois à l'époque de The Legend of Zelda: Ocarina of Time, j'ai notamment travaillé sur la conception artistique de The Legend of Zelda: The Wind Waker (5) et de The Legend of Zelda: Twilight Princess. Depuis The Legend of Zelda: Breath of the Wild, je suis en charge de la coordination des visuels.
(5) The Legend of Zelda: The Wind Waker est sorti en mai 2003 sur Nintendo GameCube. Le joueur contrôle le vent grâce à une mystérieuse baguette, ce qui lui permet de parcourir les océans et d'explorer différentes îles.
Wakai:
Bonjour, je suis Hajime Wakai, directeur audio. Ma première implication dans la série a consisté à composer de la musique pour The Legend of Zelda: The Wind Waker. J'officie comme directeur audio depuis The Legend of Zelda: Skyward Sword.
Merci beaucoup ! La plupart d'entre nous sommes déjà familiers de la série The Legend of the Zelda, mais... M. Aonuma, est-ce que vous pourriez néanmoins nous la présenter brièvement ?
Aonuma:
Bien sûr. La série The Legend of Zelda prend place dans le royaume d'Hyrule, qui est habité par le pouvoir sacré des déesses. Le protagoniste, Link, incarné par le joueur, affronte des personnages tels que Ganondorf, qui manœuvrent dans l'ombre pour s'accaparer ledit pouvoir. Dans de nombreux jeux, Link doit également aider la princesse Zelda, dont le destin est d'être investie du pouvoir des déesses. La série mêle action et réflexion, le joueur devant résoudre toutes sortes d'énigmes. Cet opus, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, est la suite directe de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, qui est sorti en 2017. L'intrigue se situe une fois encore dans les vastes contrées d'Hyrule, après le dénouement du jeu précédent.
Donc ce jeu s'inscrit dans la continuité de The Legend of Zelda: Breath of the Wild.
Aonuma:
Oui, l'histoire commence en Hyrule, quelque temps après la conclusion du jeu précédent. Les raisons qui nous ont poussés à choisir ce cadre sont nombreuses, mais pour faire court, après avoir achevé le développement du titre précédent, on s'est demandé s'il ne serait pas possible de permettre aux joueurs de continuer à explorer le monde au-delà de la fin du jeu.
La série The Legend of Zelda est une de ces franchises dans lesquelles le style visuel et les mécaniques de jeu peuvent changer drastiquement d'un épisode à l'autre. Est-ce qu'il y a eu des discussions concernant l'opportunité ou non de créer un jeu nouveau, avec un monde complètement différent, plutôt qu'une suite ?
Aonuma:
Non, pas vraiment. Même si le jeu précédent, The Legend of Zelda: Breath of the Wild, forme un tout avec son propre dénouement, nous avons commencé à avoir toutes sortes de nouvelles idées auxquelles nous voulions donner vie dans cette version existante d'Hyrule, donc le choix d'une suite s'est imposé et nous n'en avons pas changé.
Fujibayashi:
C'est précisément parce que nous connaissions le monde de The Legend of Zelda: Breath of the Wild comme notre poche, parce que nous savions exactement ce qu'il y avait à quel endroit, qu'il nous a semblé possible de donner corps à de nouvelles mécaniques de jeu. Donc un des éléments essentiels de la proposition initiale était de « ne pas changer de cadre ». Quand j'ai fait part de cette idée aux membres de l'équipe ici présents, il n'y a pas eu d'objection, nous étions tous sur la même ligne dès le départ.
Dohta:
Quand je travaillais sur la programmation de Wuhu Island pendant le développement de Wii Sports Resort (6), je me souviens que M. Miyamoto avait mentionné qu'il voulait « transformer les niveaux de jeu en personnages ». En fait, il voulait créer une île et l'utiliser comme base pour y intégrer différents types de jeux mêlant différents types de gameplay. Cette idée de proposer de nouvelles découvertes dans un même cadre... c'est quelque chose qui m'avait frappé. J'avais déjà songé à mettre ça en pratique sur d'autres titres, et il m'a semblé que ce jeu tirerait parti de ce type d'approche.
(6) Wii Sports Resort est sorti en juillet 2009 sur Wii. Le jeu se déroule dans la station balnéaire tropicale de l'île de Wuhu et propose 12 activités telles que le sabre et des jeux aériens.
Je vois. Donc la décision de faire une suite dans le même cadre était mûrement réfléchie.
Dohta:
Oui. Et par contraste, les mécaniques de jeu ont été modifiées en profondeur. Dans The Legend of Zelda: Skyward Sword, quand on voulait se déplacer du ciel vers le sol, il fallait sélectionner sa destination sur la carte, mais dans ce jeu, on peut plonger du ciel directement jusqu'au sol, sans interruption. En plus de cela, on peut aussi se déplacer sur des véhicules volants ou autres, donc même si le cadre du jeu précédent a été conservé, la liberté d'action est bien plus grande. À vrai dire, confronté à un endroit complètement inconnu, on aura probablement tendance à hésiter avant de sauter en chute libre... Ces méthodes de déplacement sont d'autant plus pertinentes qu'il s'agit d'un monde qu'on a déjà exploré.
C'est sûr que pouvoir plonger tout droit des hauteurs célestes jusque dans un étang est assez jouissif. On a vraiment l'impression d'être dans un jeu à ciel ouvert.
Dohta:
Cette possibilité de plonger depuis le ciel, on la doit aussi à l'obstination de M. Aonuma et de M. Fujibayashi ! (rires)
Fujibayashi:
Oui. Je voulais faire ça depuis The Legend of Zelda : Skyward Sword. J'ai toujours pensé que ce serait vraiment satisfaisant de pouvoir plonger du ciel directement dans l'eau. Cela dit, dans ce jeu, la chute libre n'est pas seulement une méthode de déplacement fluide et revigorante, c'est aussi un moyen de recueillir des informations sur la surface en l'examinant depuis les airs.
C'est vrai. Ce n'est pas qu'une manière agréable de voyager. (rires) Et donc, pouvoir regarder Hyrule depuis les cieux et se laisser tomber vers la surface élargit l'éventail des possibilités offertes par le jeu, c'est ce que vous dites ?
Aonuma:
Tout à fait. Seulement, le risque quand on a ce genre de discussion, c'est que les gens se disent : « zut, on profitera moins du jeu si on n'a pas joué à l'opus précédent et qu'on ne connaît pas la carte. » Mais les nouvelles mécaniques dont nous avons nourri le gameplay de ce titre sont toutes très intuitives, donc que les joueurs qui ne sont pas familiers de la série se rassurent : il est très facile de rentrer dans ce jeu.
Fujibayashi:
Il en va de même pour l'histoire. Nous avons fait en sorte qu'elle puisse être suivie aussi facilement par ceux qui découvrent l'univers du jeu que par ceux qui connaissent le jeu précédent. Par exemple, les joueurs peuvent consulter un guide des personnages à tout moment au fil de leurs aventures, ce qui devrait leur permettre de mieux comprendre les relations entre les uns et les autres même s'ils ne savent rien du jeu précédent. D'un autre côté, ce guide pourrait bien soutirer aussi quelques sourires à ceux qui connaissent l'opus précédent, parce qu'ils se diront peut-être en lisant tel ou tel contenu : « ah mais oui, je me souviens de ça. »
Je vois, donc The Legend of Zelda: Breath of the Wild constitue en quelque sorte le socle de ce jeu, comme il s'agit d'une suite, mais toutes sortes d'éléments ont été pris en considération pour les nouveaux joueurs. À propos, comme le monde lui-même existait déjà, j'imagine que vous avez dû faire preuve d'inventivité pour donner à ce titre une identité graphique et sonore distincte ?
Takizawa:
Mon sentiment, c'est qu'en fait il a été plus difficile d'insuffler du neuf dans ce monde qui existait déjà qu'il n'aurait été de créer quelque chose à partir de rien. C'est le même monde, mais nous voulions que les joueurs puissent plonger dedans avec un émerveillement nouveau. Pour rendre cela possible, nous avons pris ce monde existant, structuré autour d'objets que nous pensions optimisés à la perfection, et nous y avons ajouté une nouvelle couche de surprise, conçue depuis une perspective différente. Et il a fallu faire ça sans casser le monde existant. Ce monde que nous nous étions donnés tant de mal à construire pour le jeu précédent ! (rires) Bien sûr, du point de vue des développeurs, imaginer et créer de de la nouveauté et de la surprise était quelque chose de très plaisant, mais le processus de développement a été difficile, c'est indéniable.
Wakai:
Pour ce qui est de la musique, nous avons cassé les conventions de la série avec le jeu précédent, en utilisant principalement le piano. Ce jeu-ci suit la même direction générale, mais comme il s'agit d'une suite, nous avons aussi voulu y introduire une certaine fraîcheur, ce qui nous a donné du fil à retordre. Les effets sonores sont générés par un système complètement nouveau, distinct de celui utilisé dans le jeu précédent, et même quand les sons utilisés sont les mêmes, ils s'inscrivent dans le jeu de manière beaucoup plus réaliste. Par exemple, dans The Legend of Zelda: Breath of the Wild, nous avions essayé de faire en sorte que les bruits de l'environnement proche, comme les chants d'oiseau, aient l'air réels, mais cette fois, l'expressivité de ce type de son a été améliorée de sorte qu'il est possible d'entendre chanter un oiseau au loin et donc de ressentir la distance de manière plus réaliste.
Donc en fait, pour chaque élément dont vous étiez responsables, vous avez essayé de construire quelque chose de nouveau en prenant le jeu précédent comme cadre.
Fujibayashi:
Que changer et que garder ? Nous avons dépensé beaucoup d'énergie sur cette question.