Les développeurs ont la parole, Vol. 9 : The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom – Chapitre 4
24.05.2023
Certaines des images et vidéos présentées dans cette interview ont été créées lors du développement.
Chapitre 4 : un jeu inscrit dans la série « The Legend of Zelda »
Je sais que le précédent titre s'était fixé pour thème de « casser les conventions de la série The Legend of Zelda ». À voir tous les éléments innovants qu'intègre sa suite, j'ai l'impression que le concept central de ce titre-ci est de « casser les conventions des suites ».
Dohta :
Oui, c'est assez exact. Nous en avons discuté entre nous, et j'ai l'impression que si nous avions créé le jeu en partant de zéro dans un monde totalement différent, nous aurions peut-être abouti au final à un jeu avec une mécanique assez similaire au précédent, simplement transposé sur une nouvelle carte.
Fujibayashi :
Je crois qu'il n'a pas tort. Nous disons souvent qu'il faut « créer des jeux par multiplication ». Par exemple, si on prend les capacités du personnage principal et qu'on les multiplie par un monde qui offre beaucoup de possibilités, cela donne au final une expérience de jeu différente pour chaque joueur à chaque partie. Pour la suite, comme nous voulions continuer à offrir cette diversité d'expériences à chaque partie, sans introduire un nouveau monde riche en possibilités, il était naturel de changer à la place les capacités du personnage principal et de concevoir quelque chose de nouveau. C'est ce qui nous a conduits à repenser totalement les pouvoirs de Link.
Dans la récente vidéo de présentation du jeu par M. Aonuma, on a pu voir que Link disposait de nouveaux pouvoirs très différents de ceux du dernier jeu. Mais quand vous dites que ses pouvoirs ont été totalement repensés, est-ce que ça implique qu'ils ont tous changé ?
Aonuma :
Oui, tous ses pouvoirs sont nouveaux. Si vous imaginiez retrouver les mêmes capacités qu'avant, vous vous trompez. (Rires) Notamment, une des particularités de ce nouveau titre, le plaisir de pouvoir attacher des objets les uns aux autres, est une idée que M. Fujibayashi a soulevé dans les toutes premières phases du développement, en disant : « Ça, c'est une mécanique que je veux implémenter dans la suite ! »
Fujibayashi :
À l'époque, j'ai essayé de créer des véhicules en utilisant seulement les mécanismes et éléments disponibles dans le jeu précédent, et je les leur ai présentés.
Par exemple, j'ai utilisé des rouages qui pivotaient en guise de roues, et en attachant quatre à une planche, créé une voiture. J'ai aussi fabriqué un bateau à roues à aubes, en attachant des planches à ces mêmes rouages. J'ai assemblé des dalles de pierre pour former une sorte de tube de canon, et en utilisant des bombes à distance, obtenu un canon capable de tirer des orbes antiques. Je l'ai alors fixé sur une voiture pour créer un tank. (Rires) À partir de ces exemples, j'ai proposé de donner à Link la capacité d'attacher des éléments entre eux, ce qui nous permettrait de créer une toute nouvelle mécanique de jeu en réutilisant des éléments déjà à notre disposition. Et c'est comme cela que nous avons abouti à l'idée de créer des véhicules dans ce titre grâce à la capacité Emprise.
Capture provenant de la version anglaise du jeu. The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom est disponible en français.
Je vois. L'idée d'attacher des objets entre eux pour créer quelque chose d'autre était donc présente dès le tout début du développement. Quand on regarde la vidéo de M. Aonuma, le processus semble assez intuitif, et on comprend facilement ce qu'on peut faire en attachant des objets.
Dohta :
Ajuster les combinaisons d'objets a demandé beaucoup d'efforts à nos concepteurs et à nos programmeurs, du fait du nombre très important de variations possibles. J'espère que les joueurs expérimenteront toutes sortes de combinaisons pour trouver celles qu'ils leur plaisent le plus.
Takizawa :
On peut non seulement attacher des objets entre eux avec Emprise, mais aussi fabriquer des armes avec Amalgame, ce qui donne une palette de combinaisons absolument gigantesque. Nos équipes ont travaillé dur et apporté des ajustements spécifiques à chaque élément, pour que le résultat soit à la hauteur des attentes des joueurs. Ce sont tous leurs efforts qui nous ont permis de développer les nombreuses armes intéressantes que l'on peut créer à l'aide d'Amalgame. Vous pouvez par exemple créer une lance qui ressemble à la faux de la Grande Faucheuse.
Aonuma :
Mais il y a une sorte de colle qui déborde là où les objets sont attachés, vous voyez ?
Au début, ça m'a choqué et je me suis dit : « Quoi ?! On va vraiment laisser ça comme ça ? » (Rires)
Takizawa :
J'ai l'impression de me sentir visé... (Rires) Malgré tout, je pense que c'était la façon la plus évidente de montrer au joueur si les objets sont attachés entre eux ou pas. Et j'en reste persuadé. (Rires)
Wakai :
Cette représentation avec une substance ressemblant à de la colle était aussi parfaitement adaptée du point de vue de l'ambiance sonore, parce que ça pouvait facilement se traduire de façon réaliste. Je suis donc très reconnaissant pour ce choix. Plutôt que des sons abstraits et irréalistes, nous préférons dans les jeux de la série The Legend of Zelda des « sons bruts », qui donnent une touche plus réaliste aux actions que les joueurs accomplissent. Comme ce jeu implique d'attacher et de détacher des objets à de multiples reprises, nous avions besoin d'un bruitage qui indique quand un objet va pouvoir se fixer sur un autre. Du coup, peu importe quels objets on essaie d'attacher entre eux, c'est toujours le même « bruit de collage » qu'on entend. Et comme ça revient très régulièrement, nous avons pensé qu'il fallait trouver un bruitage qui donne aux joueurs l'impression d'avoir accompli quelque chose, pour leur faire apprécier pleinement cette mécanique.
Fujibayashi :
Après nous être mis d'accord sur cette représentation et l'effet sonore pour l'accompagner, j'ai effectivement éprouvé une sensation d'accomplissement dès que des objets s'attachaient entre eux. C'était très satisfaisant.
Aonuma :
Oui, peu importe ce qu'on fabrique, on ressent une certaine satisfaction.
Dohta :
Notre intention à l'origine, en implémentant cette mécanique, était que les joueurs puissent s'amuser à fixer des objets entre eux sans chercher à construire quelque chose d'imposant. C'est plus l'idée de « Oh, j'ai attaché des roues à un rondin, et ça peut bouger ! Bon, c'est rudimentaire, mais c'est sympa ! ». Du coup, je trouve que la colle symbolise bien ce plaisir simple d'attacher des objets les uns aux autres. Même si vous les fixez un peu au hasard, votre création a toujours l'air d'un bricolage. (Rires)
Aonuma :
C'est ça, il ne faut pas s'inquiéter si on n'est pas très fort pour fabriquer des choses. Si on attache deux objets longs ensemble, ça permet de créer quelque chose d'encore plus long, c'est aussi simple que ça. Et même si le résultat semble étrange, ça garde un aspect assez logique, parce que les objets sont fixés par de la colle. (Rires) Je trouve que c'est très fidèle à l'esprit de la série The Legend of Zelda, et ça me plaît beaucoup.
Takizawa :
Pourtant, M. Aonuma, vous avez fabriqué un superbe radeau bien solide, dans votre vidéo de présentation du jeu. (Rires) C'est un endroit où les joueurs vont passer assez tôt dans le jeu, mais il n'y a pas besoin d'un radeau aussi robuste pour traverser. Si on veut, on peut même s'en passer pour atteindre l'autre rive.
Aonuma :
Je sais, mais le but de cette vidéo était de montrer ce que ce jeu offre de particulier. Je voulais donner un exemple clair aux joueurs. (Rires) Franchement, qui n'a jamais eu envie de traverser une rivière en se fabriquant son propre radeau ?
Tous :
(Rires)
Takizawa :
Pendant les tests du jeu par les équipes de développement, on a pu observer que certains faisaient des créations très élaborées, tandis que d'autres se concentraient sur une solution efficace en utilisant le strict minimum de matériel. Il est intéressant de constater que le style de jeu d'une personne révèle bien des choses sur sa personnalité.
Aonuma :
J'ai l'impression que les concepteurs, notamment, ont tendance à fabriquer des créations très élaborées.
Dohta :
En accordant à cette fonction d'attachement d'objets une place centrale dans le jeu, je crois que nous avons créé une mécanique qui satisfait à la fois ceux qui recherchent des créations élaborées et ceux qui veulent se contenter du minimum nécessaire pour progresser.
Fujibayashi :
Nous avons consacré beaucoup d'efforts pour parvenir à ce bon équilibre.
C'est bien de voir que les joueurs peuvent s'amuser à réaliser des créations élaborées, tandis que ceux qui veulent juste avancer dans le jeu n'ont pas forcément à se casser la tête là-dessus. Chacun est libre de profiter du jeu à sa façon.
Dohta :
En termes de fonctionnalités, une chose que nous n'avions finalement pas inclus dans le dernier jeu était la magie. Nous avions une jauge d'endurance pour les actions physiques, mais pas de « jauge de magie » ou quoi que ce soit d'équivalent. Cette fois-ci en revanche, nous voulions intégrer cette fonctionnalité, alors nous avons introduit une nouvel élément : les artéfacts soneaus qui ont des propriétés magiques. Comme on peut le voir dans la vidéo de présentation du jeu par M. Aonuma, ces artéfacts permettent de produire du vent ou de faire se déplacer des objets. Leur pouvoir permet même de créer des chose un peu absurdes, comme un « lance-flammes multidirectionnel ». À plusieurs moments dans le jeu, on peut ainsi avec un peu d'ingéniosité tricher, mais de manière positive.
Aonuma :
Oui, enfin... vous parliez de jauge de magie, mais dans le jeu, c'est simplement une batterie. (Rires)
Tous :
(Rires)
Takizawa :
Le concept initial pour ce jeu était d'utiliser les pouvoirs surnaturels d'une civilisation inconnue, au lieu des prouesses de la technologie antique de la civilisation Sheikah, comme dans le jeu précédent. Nous avons donc créé tout plein d'objets utiles avec des propriétés magiques. Mais faute de savoir au juste ce que c'est, les joueurs risquaient de ne pas s'en servir, même si nous les décrivions comme des « objets surnaturels ». Alors du coup, cet objet que nous voulions « magique » a pris la forme d'une sorte de... gros ventilateur électrique.
Tous :
(Rires)
Takizawa :
Comme nous pensions qu'il était important que les joueurs puissent identifier d'un coup d'œil l'utilité de ces objets, nos designers ont fini par créer toute une série d'appareils domestiques. (Rires) Trouver un moyen de les présenter comme des éléments surnaturels dans le monde de The Legend of Zelda: Breath of the Wild n'a pas été évident. Mais c'était une excellente occasion pour nous autres designers de prouver tous nos talents. (Rires)
Aonuma :
Si on montre aux joueurs un objet qu'ils n'ont jamais vu dans la vie réelle, ils ne sauront pas comment l'utiliser. En revanche, ils comprendront intuitivement à quoi peut servir quelque chose qui ressemble à un objet du quotidien. Et au final, cela fonctionne étonnamment bien d'avoir de tels objets dans l'univers de ce jeu où la magie existe.
Je vois qu'aussi bien la magie que le plaisir de coller des éléments entre eux ont été intégrés avec un aspect légèrement comique, typique de la série The Legend of Zelda, pour que les joueurs comprennent de façon intuitive comment les utiliser.
Vers le chapitre 5 : si ça a l'air possible, c'est que ça doit l'être !