3. L'invitation de Nintendo
Après avoir fait de l'animation au même endroit pendant un long moment, j'ai commencé à ressentir que je stagnais. De plus, il n'y avait aucune garantie que je puisse éternellement continuer à travailler avec des collègues ayant la même vision des choses que moi. C'est pourquoi j'ai quitté la société pour travailler en indépendant. Cependant, malgré cette liberté, je ne travaillais pas sur le cœur des projets, seulement sur certaines parties.
Vous avez donc pris en charge des parties d'œuvres plus grandes.
Oui, ce n'était pas stressant mais ce n'était pas vraiment intéressant.
Ou on se tue à la tâche mais c'est passionnant ou c'est facile mais pas intéressant.
C'est alors qu'Ike-chan - Hiroshi Ikeda – m'a contacté.
Ikeda-san était déjà retraité de Nintendo, mais il avait été auparavant le chef de Miyamoto-san.
Ike-chan avait aussi été embauché à Toei Animation en même temps que moi.
Ah ?! Vraiment ?!
C'est pour cette raison que je l'appelle Ike-chan. Il est plus âgé que moi, mais je me disputais pas mal avec lui aussi. Comme lorsqu'on a fait Flying Phantom Ship9. Il était réalisateur et moi j'étais directeur des animations.
9 Flying Phantom Ship est un film d'animation qui est sorti en 1969. Il a été produit par Toei Animation Co., Ltd.
Je vois.
Miyamoto-san, désolé de vous avoir fait attendre.
Aucun problème.
Au bout de combien d'années chez Nintendo Ikeda-san est-il devenu votre supérieur ?
Au bout d'environ 7 ou 8 ans je crois. A ce moment-là, nous étions en train de faire Super Mario Bros10. Il m'a vraiment laissé carte blanche. C'était le premier directeur du département d'analyse et de développement divertissement.
10 Super Mario Bros. est un jeu de plate-forme qui est sorti en 1985 sur NES.
Kotabe-san, comment est-ce qu'Ikeda-san s'y est-il pris pour vous inviter à rejoindre Nintendo ?
Comme je l'indiquais, j'étais disponible et je traversais une période creuse. Alors j'ai rencontré Ikeda-san dans un café et il m'a demandé si cela m'intéressait de travailler pour Nintendo. Il disait qu'à partir de ce moment, les jeux vidéo allaient avoir besoin d'une quantité grandissante de savoir-faire en animation.
En effet. A cette époque, quasiment personne ne s'y connaissait en animation dans l'industrie du jeu vidéo.
Lorsque nous avons fait le jeu d'arcade Popeye11, je regardais le dessin animé en faisant un arrêt image par image pour observer et redessiner moi-même.
11 Popeye est un jeu d'arcade Nintendo qui est sorti en 1982. La version NES est sortie en 1983.
Ah, vous avez fait ça ?
Il y avait un livre d'images animées très célèbre qui montrait, avec des photographies en image par image, des gens et des chiens qui couraient. Même si j'ai fait une université des beaux-arts, je ne l'avais quasiment jamais utilisé.
Un livre pour apprendre à dessiner.
C'est cela. Moi aussi j'ai toujours aimé les animations des mangas en flip book. Mais je n'aurais jamais pensé que je créerais un jour mes propres animations. J'ai donc dû m'y mettre très sérieusement.
Dans le monde de l'animation, on étudie les livres de ce genre de façon très approfondie. On y apprend par exemple à fluidifier les mouvements. Mais au fur et à mesure, cela s'est avéré inutile vu que le nombre d'images était moindre.
Je vois. Les animations pour les publicités télévisées n'utilisent que quelques images par seconde.
Et certaines images ne bougent pas.
C'est une des choses qui m'ont frustré. A cette époque, Ike-chan m'avait demandé si je voulais rejoindre Nintendo pour donner des conseils sur les animations. Mais je n'avais quasiment jamais joué à un jeu vidéo. Le seul que je connaissais était Space Invaders. (rires)
Vous avez joué à Space Invaders ?
Non, je regardais juste les autres jouer. (rires) Je n'avais donc aucune idée de la raison pour laquelle des animations étaient nécessaires dans les jeux vidéo.
C'est compréhensible.
Mais je lui ai dit que s'il pensait avoir besoin d'animations, je pouvais l'aider. Je voulais juste rester chez Nintendo un an ou deux. Et au final, j'y suis resté 21 ans ! (rires)
(rires)
Un an ou deux, ce n'était pas possible. A cette époque, l'environnement nécessaire à votre travail existait à peine dans l'univers du jeu.
Lorsque Kotabe-san vous a rejoint, qu'en avez-vous pensé Miyamoto-san ?
Je pensais que c'était trop beau pour être vrai. J'avais toujours adoré les mangas et je regardais beaucoup de films d'animation, mais pas assez pour connaître son nom. Mais lorsqu'un vrai fan d'animation a entendu le nom de Kotabe-san, il s'est mis dans tous ses états, jusqu'à en trembler.
Vous plaisantez. (rires)
Non, lorsque nous vous avons rencontré ensemble, il était si nerveux qu'il s'était mis à trembler. (rires)
Avant de vous rencontrer, Ikeda-san m'avait présenté M. Takao Kozai, l'illustrateur de Sally, la petite sorcière et de New Star of the Giants
Kozai-san vient aussi de Toei Animation.
Vraiment ? Décidément, Nintendo doit beaucoup à la vénérable élite de Toei Animation !
C'est Kozai-san qui a conçu les graphismes de Punch-Out!!12. Il demandait de plus en plus souvent de l'aide à des professionnels externes. Mais comme nous allions avoir Kotabe-san au sein de nos équipes, j'ai pensé « Ça devrait faire l'affaire ?! » (rires)
12 Punch-Out!! est un jeu d'arcade Nintendo qui est sorti en 1983.
Soudain, un vrai animateur rejoignait nos rangs mais nous n'avions rien préparé du tout ! (rires)
Qu'avez-vous pensé lorsque vous avez vu nos dessins pour la première fois ?
Vous ne m'avez pas montré de dessins, vous m'avez montré un jeu vidéo. C'était Super Mario Bros.
Oui, c'est vrai.
Lorsque j'ai vu pour la première fois tous les mouvements que faisait Mario dans Super Mario Bros., je me suis dit que les jeux vidéo étaient en train de faire ce que l'industrie de l'animation traditionnelle était en train d'oublier.
Même à cette époque, un bon nombre de choses avaient été faites, comme les mouvements du personnage.
Je voyais ce que vous cherchiez à atteindre, même si vous n'y étiez pas encore arrivés. Mais pendant un moment après mon embauche, je n'ai pas du tout travaillé sur des animations.
C'est vrai. (rires)
Je venais au travail chaque jour et je m'asseyais à mon bureau pour griffonner tout ce qui me passait par la tête. (rires)