Voilà donc un parfait exemple où la forme est choisie pour servir la fonction, c’est ainsi que vous en êtes arrivés à la tortue, et le Koopa était né ! Mais comment le reste du jeu s’est-il développé à partir de là ?
Eh bien, pour commencer il fallait dessiner la tortue. A cette époque, je ne m’en faisais pas trop et j’ai demandé au game designer qui m’assistait de travailler dessus. Et il a réalisé une tortue terriblement réaliste ! (rires)
Cela ne correspondait pas vraiment à l’univers de Mario, hein ? (rires)
Donc, j’en ai dessiné une moi-même, et ce faisant, je me disais : « Je ne crois pas qu’il existe une seule tortue avec un visage aussi gros… » En y repensant après-coup, cela ressemblait quand même de près ou de loin à une tortue. Enfin, Hiroka-chan qui s’occupait du son sur le jeu, et qui est maintenant Président de Creatures Inc., …
12 Hirokazu Tanaka a travaillé pour Nintendo en tant que compositeur et a été responsable de la musique de nombreux titres tels que Balloon Fight, Dr. Mario et Mother. Il est actuellement Président de la société Creatures Inc.
Oui. Donc en parlant avec Tanaka-san, on s’est retrouvés à se demander à quoi pouvait ressembler l’intérieur d’une tortue.
L’intérieur d’une tortue ? (rires)
A l’origine, je voulais qu’il soit facile de voir quand la tortue va se relever. Même si l’on fait gigoter la tortue renversée avant qu’elle ne se relève, le joueur aura du mal à savoir à quel mouvement précisément la tortue va se relever. On s’est enthousiasmés autour d’idées comme : « Et si en frappant la tortue par en-dessous, la tortue se mettait à s’envoler hors de sa carapace et à courir dans tous les sens avant de revenir dans sa carapace ? Du coup, quand elle revient dans sa carapace, on sait qu’elle va se remettre sur pieds ! »
Eh bien, Tanaka-san avait bien caché son jeu, c’est un joyeux luron !
On s’est dit que c’était une super idée et on a donc poursuivi avec les tortues qui sortaient de leurs carapaces.
Mais les tortues ne sont pas locataires de leurs carapaces comme les Bernard-l’ermite, vous savez ! (rire)
Mais oui, c’est complètement délirant ! (rires) C’est la colonne vertébrale de la tortue qui devient sa carapace. Il va donc sans dire qu’aucune tortue réelle ne risque de s’envoler en dehors de sa carapace. Mais au final, même si je savais que je mentais aux enfants, je me suis dit : « Bon, de cette façon, c’est très facile à comprendre. C’est pourquoi on va faire cette créature comme ça ! »
Donc ça a l’air d’une tortue, mais en fait ce n’en est pas une.
Non, ce n’est pas une tortue ! C’est un Koopa !
(rires)
Alors comme ça, on a pu se consacrer à la fonctionnalité et à la conception du jeu tout en gardant cela à l’esprit.
L’histoire de la création de la tortue est un exemple très particulier, mais Mario Bros. regorge en fait d’éléments le reliant au New Super Mario Bros. Wii dont nous allons parler aujourd’hui. En effet, on y retrouve les tuyaux, les pièces à ramasser et un mode multijoueur.
C’est ça oui. Je pense qu’on a réussi à bien faire le lien entre les premiers jeux et leurs successeurs.
Comment vous est venue l’idée d’utiliser des tuyaux au départ ?
Cela vient des mangas.
Des mangas ?
Si vous lisez les premiers mangas, vous verrez qu’il y a toujours une décharge avec des tuyaux.
Vous avez raison ! (rires)
Donc, l’idée de rentrer à l’intérieur des tuyaux que l’on rencontre me semblait toute naturelle. Puis, quand j’ai fait Mario Bros., j’ai réalisé que si toutes les tortues qui apparaissaient devaient tomber au bas de l’écran, elles s’entasseraient là et ça ne servirait à rien.
Le bas de l’écran grouillerait de tortues ! (rires)
C’est pourquoi j’ai pensé que dans un espace fermé, il fallait que les mêmes tortues arrivent et repartent. Et comme la gauche et la droite de l’écran étaient connectées…
Si Mario partait à droite de l’écran, il réapparaissait sur la gauche, c’est cela ?
Oui. Mais même en gardant cela, le fait de connecter également le haut et le bas de l’écran aurait été un peu bizarre. Et puis, en rentrant du bureau, j’ai vu un mur en béton dans une zone résidentielle, pas mal de tuyaux d’évacuation en sortaient. Je me suis dit : « Mais je peux les utiliser ! » (rires) Il semble évident que quelque chose qui sort d’un tuyau peut y retourner ensuite.
C’est donc ainsi que vous avez trouvé l’idée de faire sortir les Koopas du tuyau du haut pour ensuite les faire passer dans le tuyau du bas. Simple curiosité, pourquoi avez-vous choisi de faire les tuyaux en vert ?
Comment ça ?
Eh bien, les tuyaux sont plutôt gris en général. Je ne pense pas que des tuyaux verts soient monnaie courante.
J’avoue que c’est la première fois qu’on me pose cette question ! (rires) Je ne me souviens pas précisément de la raison pour laquelle on a choisi la couleur verte. Mais en fait, à cette époque, on n’avait pas énormément de couleurs à disposition pour faire des jeux vidéo.
C’est vrai, c’était très limité à l’époque.
Parmi ces couleurs, le bleu était très intense et très beau. Le vert était aussi sympa si on l’utilisait dans deux tons différents. On a tenu compte de cela pour concevoir l’aspect visuel du jeu.
Je vois.
Donc, en utilisant les deux tons ensemble, le vert était la meilleure couleur à utiliser. On n’a pas fait les tuyaux en vert pour qu’ils soient de la même couleur que les carapaces des tortues ou autre chose dans ce genre.
Il s’est trouvé qu’au final ça allait bien avec les couleurs des tortues.
Le vert était tout simplement une couleur qui fonctionnait bien lorsqu’on combinait les deux tons.
D’accord.
C’est un peu une réponse de game designer, non ?
(rires)
Pendant que je travaillais sur Donkey Kong, j’allais souvent faire du ski en hiver. J’observais souvent par la fenêtre les lumières des autres bus et des voitures pour me poser des questions existentielles comme : « Quelles sont les plus belles couleurs ? » Donc, pendant que j’étais dans cette contemplation…
Contemplation ?
Eh bien, à une certaine époque, je voulais être un artiste !
(rire) En fait, le développement de jeu vidéo à cette époque, cela consistait essentiellement à faire les choses de façon à ce que ça marche tout en respectant les limitations imposées par la technologie.
Oui, c’est vrai. Et c’est lorsque j’ai réussi à trouver des graphismes qui correspondaient bien à la technologie que j’ai commencé à me dire : « Eh bien ! C’est un boulot plutôt marrant en fait ! »
13 Super Mario Bros. est un jeu de plates-formes pour NES sorti au Japon en septembre 1985 et en Europe en mai 1987.
14 Takashi Tezuka a travaillé au développement de titres des séries Super Mario, Yoshi, Animal Crossing et bien d’autres titres. C’est le Directeur Général de la Division d'analyse divertissement et développement (EAD) chez Nintendo Co., Ltd.
C’est sûr, si on additionnait toutes les données graphiques et les données de programmation nécessaires à Super Mario Bros., il ne restait que 40 kilo octets à exploiter.
Donc, on se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire et on a soudain pensé : « Et pourquoi pas donner des ailes aux tortues ! » (rires)
Les Koopas se sont vu pousser des ailes ! (rires)
Je pensais qu’il n’y avait aucune chance pour que ça fonctionne. Mais lorsque nous avons réellement mis les ailes, le résultat était vraiment pas mal ! (rires) Ces tortues sont donc devenues des Paratroopas .
C’est Tezuka-san qui avait suggéré de donner des ailes aux tortues ?
15 Super Mario Bros. 3 est un jeu de plates-formes NES sorti en octobre 1988 au Japon et en août 1991 en Europe.
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