Et maintenant, je voudrais que l’on parle un peu de vous, Tezuka-san.
D’accord.
Sur quoi avez-vous travaillé lorsque vous êtes entré chez Nintendo ?
En fait, l’année de mon arrivée, on m’avait d’abord demandé de faire un petit boulot à temps partiel.
C’était avant que vous passiez à temps-plein ?
Exact.
L’entreprise était-elle particulièrement submergée de travail à l’époque ?
J’imagine qu’ils voulaient me faire passer une sorte de période d’essai.
Ils voulaient savoir ce que vous valiez réellement ! (rires)
C’est ça. Ils devaient avoir un peu peur. (rires) Lorsque je travaillais à temps partiel pour la société, Super-Punch Out!! 13 était en cours de développement. Alors j’ai aidé sur certaines des images pixélisées. 13 Super Punch-Out!! est la suite de Punch-Out!! Il est sorti sur bornes d’arcade en 1985.
Donc vous aviez commencé à travailler alors que vous étiez encore étudiant à cette époque ?
Tout à fait.
Mais les étudiants en art doivent généralement travailler sur un projet de fin d’études. Ça ne vous a pas fait un peu beaucoup jusqu’à l’obtention de votre diplôme ?
J’étais sur le point d’être diplômé, donc je disposais de beaucoup de temps libre.
Je vois.
Mais je n’ai vraiment travaillé à temps partiel que sur une courte durée, quelques semaines seulement. C’était mon premier poste chez Nintendo.
Quelle a été votre première impression lorsque vous avez rencontré Miyamoto-san ?
Eh bien, euh...
Vous ne vous en souvenez pas ?
C’est vrai. Je ne m’en souviens pas vraiment ! (rires)
Je vous reconnais bien là, Tezuka-san ! (rires)
(rires)
Donc, Nakago-san avait porté Donkey Kong sur la Famicom, mais n’avait aucune idée de qui était Miyamoto-san. Et, vous ne vous souvenez pas du tout de votre première rencontre avec Miyamoto-san, alors que ça a dû être un grand tournant dans votre vie. Et pourtant, malgré ces étonnants débuts, vous avez travaillé ensemble dans un parfait trio pendant les vingt-cinq dernières années ! On vit quand même dans un drôle de monde ! (rires)
Je faisais partie du département Créatif à l’époque...
Miyamoto-san était-il déjà directeur adjoint à l’époque, ou était-ce avant sa promotion ?
C’était avant sa promotion. Il était donc mon supérieur en termes d’expérience au sein de l’entreprise, mais pas en termes de poste. Les effectifs étaient plutôt réduits dans ce département...
C’était l’époque où on ne comptait que très peu de graphistes dans les équipes. En gros, cela voulait dire que les diplômés des disciplines artistiques étaient plus ou moins rassemblés dans ce département. Puis, selon les besoins de design au sein de l’entreprise, ils devaient tenter de s’adapter pour y répondre.
C’est ça. On a donc fait toutes sortes de choses, comme travailler sur les manuels d’instructions ou concevoir des jeux de cartes...
Vous avez aussi conçu des images pour des bornes d’arcade. En gros dès qu’on avait besoin de design, c’est à votre département qu’on faisait appel.
Exactement.
Pourquoi avez-vous postulé chez Nintendo à l’origine ?
Je ne me décrirais pas comme un grand fan de jeux vidéo en particulier, mais je portais un grand intérêt à tout ce qui touchait aux loisirs et au divertissement. Par exemple, je m’étais intéressé à la conception des marchandises à l’effigie des personnages de jeu. Les élèves qui ont étudié le design à l’université s’orientaient fréquemment vers les sociétés d’impression ou les agences de publicité. Mais ce n’est pas le genre de travail qui m’intéressait : d’abord trouver un client, puis créer des choses selon son cahier des charges...
Vous vouliez faire les choses comme vous l’entendiez.
C’est vrai. C’est une chose qui m’importait beaucoup.
Comment êtes-vous entré chez Nintendo ?
Un de mes amis de l’époque avait postulé pour travailler chez Nintendo, et il m’avait dit que cette entreprise semblait intéressante.
Donc, sans cet ami, vous ne seriez pas assis à cette table aujourd’hui ?
En effet, je ne serais pas ici aujourd’hui ! Mais cet ami n’a pas réussi à obtenir son diplôme. Il n’a donc pas été embauché chez Nintendo.
Quel étrange tour du destin ! Sans cette coïncidence, Miyamoto-san n’aurait jamais trouvé l’un de ses plus proches alliés.
(rires)
Donc, une fois que vous êtes entré chez Nintendo, quel a été le premier projet sur lequel vous avez travaillé avec Miyamoto-san ?
Lorsque je travaillais à temps partiel, j’étais sur Super Punch-Out!! Puis, une fois que je suis passé à plein temps, mon tout premier projet a été... Comment ça s’appelait déjà ? Ah oui, je sais ! C’était Devil World 14. C’était un jeu de type « dot-eating »15 (littéralement « mange-pointillés ») 14 Devil World est un jeu d’action sorti sur Famicom en octobre 1984. 15 Dans les jeux de type « dot-eating » ou littéralement « mange-pointillés », le joueur évolue dans un labyrinthe où il doit éviter des ennemis et s’arranger pour manger un maximum de pointillés afin de réaliser le meilleur score possible.
C’était un jeu dans la veine de Pac-Man16. 16 Pac-Man est un jeu d’arcade sorti en 1980, signé Namco (désormais Namco Bandai Games Inc.). Ce titre a connu un succès planétaire et est sorti plus tard sur NES.
C’est vrai. Mais à cette époque, je ne connaissais pas Pac-Man...
Attendez un peu ! Un instant ! Vous êtes en train de me dire que quelqu’un qui est entré chez Nintendo pour faire des jeux vidéo et qui est actuellement à la tête du Département du Développement Logiciel, est entré dans l’entreprise en 1984 sans connaître Pac-Man ?
Je n’en avais jamais entendu parler ! (rires)
Je n’en crois pas mes oreilles ! (rires)
(éclat de rire)
Ça vous choque ?
Non, je suis juste un peu surpris, c’est tout ! (rires)
Ensuite, lorsque j’ai joué à Pac-Man pour la première fois, j’ai simplement pensé : « Bien, c’est un jeu marrant ! »
(rires)
A cette époque, mon travail consistait à créer des images pixélisées. D’habitude, on me donnait des instructions simples et assez vagues...
En fait on vous disait : « Dessinez quelque chose. Peu importe le sujet ! »
C’est vrai. Mais comme Miyamoto-san avait une idée bien précise de l’image qu’il voulait, il me donnait des instructions plutôt détaillées : « Faites-le de cette forme-là. Et cela devrait faire cette taille. »
A cette époque, le matériel imposait des limitations assez strictes. Donc si vous n’aviez pas une image extrêmement précise de ce que vous vouliez, cela menait souvent à l’échec.
Tout à fait. Dans une certaine mesure, le fait de créer quelque chose en respectant ces limitations était au final un travail vraiment sympa.
C’était un peu comme essayer de résoudre une énigme.
Oui, c’est ça. De plus, la société à l’époque ne comptait pas de game designers chargés de proposer les idées pour les jeux...
A l’époque dont nous parlons, le poste de game designer attitré à plein temps n’existait pas encore. Donc, les concepteurs de graphismes ou les programmeurs proposaient souvent des idées.
C’est exact. A cette époque, on réfléchissait tous ensemble, on rassemblait les idées et on faisait les jeux dans un état d’esprit amateur. Donc, moi aussi je proposais des idées...
Quel genre d’idées proposiez-vous ?
Par exemple, lorsque je travaillais sur Devil World, il y avait des barres de défilement à gauche et à droite de l’écran...
Et si vous vous retrouviez coincé entre ces barres et le mur du labyrinthe, c’était fini.
Exactement. En fait, j’ai suggéré qu’on mette des trous. Comme ça, le joueur perdait un tour s’il tombait dedans. On a donc fait une version pour tester ça.
A cette époque, quand les développeurs de Nintendo commençaient leurs jeux, ils pouvaient toujours faire différentes versions pour tester des idées. Alors, quand vous avez testé, ça s’est passé comment ?
On m’a dit : « C’est un peu plat. » On est alors revenus à la fonctionnalité d’origine, où le joueur se retrouvait coincé entre les barres de défilement.
Alors au final, ils n’ont pas utilisé votre idée.
Et non ! J’étais vraiment déçu ! (rires)
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