Combien de temps avez-vous mis pour mettre en place l'intrigue de The Last Story ?
Tout a commencé lors d'un repas avec Fujisaka-san et un programmeur de l'équipe de développement. Nous avions une discussion plutôt animée sur les différences stylistiques et philosophiques entre les jeux de rôle japonais et occidentaux, et sur les images montrées dans les vidéos promotionnelles. C'était plutôt du genre : « Ça devrait être comme ça, ça ne devrait pas être comme ça ». Et de cette discussion est née notre vision de l'intrigue.
Vous n'avez donc pas trouvé l'intrigue par vous-même, mais l'intrigue a pris forme au fil des discussions entre vous trois, pendant que vous discutiez de l'approche à adopter pour The Last Story.
Oui, c'est exact. En réalité, nous avons passé beaucoup de temps à bricoler avec le prototype7 au cours des phases initiales. 7Le prototype est utilisé au cours du développement pour expérimenter les fonctions d'un jeu.
Il a subi plusieurs modifications ?
Nous avons bricolé avec le prototype pendant un an, un an et demi.
C'est la première fois que vous vous y prenez de cette manière pour créer un jeu ?
Non, j'ai utilisé la même méthode pour FF VII8 et j'ai passé près d'un an dessus. Mais ça a pris plus de temps pour The Last Story. 8Final Fantasy VII est un jeu de rôle sorti sur Sony PlayStation en janvier 1997 au Japon.
Dans le prototype initial, les personnages n'étaient que des blocs mobiles se déplaçant sur l'écran.
C'est certainement assez différent de ce que les gens s'imaginent sur la manière dont un jeu est créé. Les jeux que vous avez créés sont graphiquement tellement riches qu'on vous pardonnera facilement cette description. Et pourtant, quand on réfléchit aux aspects fondamentaux d'un jeu, on n'a pas besoin de graphismes avancés.
Oui, c'est exact. Vous commencez par déplacer les objets, et ça vous amène à l'étape suivante.
Si vous ne testez pas la chose, vous ne saurez pas quelle impression ça fait d'y jouer. Mais un an et demi, c'est plutôt long. Cette période a-t-elle été difficile ?
C'était parfois difficile, mais il y a évidemment eu plusieurs moments amusants pour compenser. À l'époque nous avions mis au point le donjon de test, qui fait toujours partie du programme utilisé pour la production finale. C'est une pièce carrée, sans fioritures et avec un décor neutre, et lorsque nous améliorions le système, nous nous enfermions dans cette pièce pour que tout le monde puisse jouer.
C'est assez simple, et ça permet de ne pas être influencés par les décors autour de soi.
Tout à fait. Ce donjon nous a été d'une aide précieuse dès le début, car il nous a permis d'évaluer les progrès réalisés, et pouvoir jouer sur la section du jeu en question nous a donné une motivation supplémentaire.
À vous entendre sur le temps passé et les efforts requis, je repense à ce dont nous discutions auparavant quand nous parlions de nous démarquer des formules établies. Vous avez dû beaucoup tâtonner pour parvenir à la structure finale du jeu.
En termes de système de jeu, nous avons rejeté dix fois plus d'idées que nous n'en avons gardées dans la version finale du jeu. Je pense que vous pourriez créer deux autres jeux juste avec les idées que nous avons rejetées. (rires)
Comment décririez-vous le système de jeu que vous avez finalement gardé pour The Last Story ?
Ça peut paraître prétentieux, mais je dirais que tout tourne autour de l'ordre et du chaos. Celui qui arrive à imposer l'ordre sur le champ de bataille remporte la victoire. Ou inversement, celui qui arrive à briser l'ordre de l'ennemi en y instillant le chaos remporte la victoire. C'est ce que j'ai cherché à exprimer dans les scènes de bataille du jeu. Mais je ne voulais pas y parvenir d'une manière logique ou méthodique, comme au Shôgi. Je cherchais un système de combat plus intuitif, qui permet de sentir l'impression du temps qui passe.
Comme les batailles se déroulent en temps réel, vous devez tenter de préserver l'ordre de votre côté tout en essayant de créer le chaos chez l'ennemi. Ce qui veut dire que vous devez ajuster votre stratégie en permanence en fonction de la situation.
Tout à fait. Vous ne devez pas simplement tenter de vous débrouiller dans le cœur de l'action. Si vous jetez un œil au champ de bataille, vous verrez que vous êtes entouré de tactiques visant l'ordre ou le chaos. C'est le système que je visais, un système réaliste et vivant.
Comment avez-vous vécu cette période de tâtonnements, Fujisaka-san?
Hé bien, c'est assez rare de passer un an et demi sur quelque chose comme ça. Pour commencer, il y a eu l'OVNI au début.
(rires) Oui, c'est vrai !
...Il y a un OVNI dans cet univers ?
Un OVNI apparaissait à l'endroit où apparaissent les ennemis, ou plutôt un disque qui flottait dans les airs.
Ça a mieux marché qu'on ne l'aurait pensé ! (rires)
C'était drôle, n'est-ce pas ? Au final il a été enlevé, mais le système subissait sans cesse de nouvelles modifications, alors je devais créer de nouvelles images correspondant à ces modifications. J'avais l'impression que Sakaguchi-san voulait avant tout que les éléments du système de jeu se mettent en place.
Est-ce que c'est quelque chose que vous avez fait volontairement, Sakaguchi-san ?
Oui, absolument. Évidemment, le scénario est très important, mais s'il devient la priorité, les avantages du nouveau style de jeu passeront un peu à la trappe. Je suis du genre à être satisfait avec des cinématiques impressionnantes et bien réalisées. C'était mon gros souci.
Vous vouliez avant tout rendre le jeu agréable à jouer.
Oui, c'est exact. Je pense que l'aspect dramatique d'un jeu ressort particulièrement au cours des batailles.
Oui, c'est exact. Les jeux dont on se souvient le plus sont souvent ceux ayant des scènes de batailles qu'on garde en mémoire.
Prenons l'exemple d'une scène où un personnage en protège un autre. Si cette scène se déroule en arrière-plan du scénario, elle peut créer une certaine émotion dans une certaine mesure. Mais si elle se déroule pendant une bataille, je pense qu'elle créera un lien plus fort entre le joueur et son allié. C'est pourquoi, pour ce jeu, le système n'a pas été conçu spécifiquement pour correspondre aux graphismes. Nous avons plutôt conçu le système en premier, et ajouté ensuite les scènes dramatiques pour correspondre au système.
Que pensez-vous du système de jeu lorsque vous y jouez maintenant ?
Eh bien, je pense que dans une certaine mesure, il correspond à ce que je souhaitais créer... Évidemment, il n'est pas parfait, mais...
Lorsque je l'ai vu, j'ai été surpris parce qu'il ne correspond à rien de ce que j'avais pu voir auparavant. J'ai été particulièrement surpris par le fait que pendant une scène cinématique du scénario, la caméra ne se focalise pas automatiquement dessus.
Ah oui. C'est effectivement le cas. (rires)
Pour être honnête, ça m'a extrêmement surpris. Normalement les programmeurs et les graphistes se donnent beaucoup de mal pour créer ces scènes.
Oui, c'est vrai. (rires) Mais je pensais que cette approche nous permettrait d'enrichir l'univers du jeu. Même s'il s'agit d'une scène cinématique du scénario, nous ne voulions pas que la caméra se tourne automatiquement dans cette direction. Dans cet univers, le joueur observe en réalité tous les éléments. C'est assez excitant de penser que quelque chose peut se passer pendant que vous ne regardez pas, n'est-ce pas ?
Absolument ! (rires) C'est aussi pourquoi je trouve que votre approche est vraiment innovante.
Merci beaucoup. Cette approche est le résultat d'une période de tâtonnements, elle n'est peut-être pas parfaite, mais je pense qu'elle est unique, et innovante, et je pense que c'est très important du point de vue du divertissement. Même si certains aspects restent grossiers, je pense que le joueur sera vraiment ravi du résultat.
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