Que voulez-vous dire par là ?
Si vous ne faites pas attention, vous encourez le risque que les jeux Mario deviennent de plus en plus puérils. Les gens qui développent ces jeux ont tendance à les faire de la sorte, de façon inconsciente, car ils sont aussi destinés aux enfants. Prenons l’exemple des dialogues de Mario. On m’a parfois proposé des choses comme, “Où est passée ma petite maman ?”. Lorsqu’un quinquagénaire comme moi entend son personnage parler comme un enfant, il réalise que quelque chose cloche. Après tout, Mario n’était pas un jeu réservé aux enfants à l’origine. Quand je réalise un jeu, je m’efforce de tenir compte du quinquagénaire qui a l’intention d’y jouer. Il y a d’autres problèmes dont nous discutons sans cesse. “A-t-on le droit de faire parler Mario ?” “Non, Mario est le joueur, il ne doit pas parler.” Ce genre de choses. Evidemment, il lui arrive de prononcer des expressions comme “Mamma mia,” donc il y a toujours quelqu’un pour protester... “Non mais attendez… Il parle là, non ?” (rires)
(rires)
En soi, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Lorsque l’on aborde des sujets comme le degré de puérilité d’un jeu, ou le fait de savoir si Mario doit parler ou non…
Ce ne sont pas des choses essentielles.
Exactement. En parlant avec Koizumi-san, j’ai réalisé que ces choses n’étaient pas essentielles. Le plus important, c’est de ne pas briser l’immersion du joueur pendant la partie. Par exemple, lorsque vous regardez un film à gros budget, vous pouvez vous laisser séduire par les effets pyrotechniques tout en réalisant que l’œuvre ne vous touche pas vraiment.
Il n’y a pas d’immersion.
Voilà, vous n’entrez pas dans le film. Pour ce qui est de Super Mario Galaxy 2, nous voulions intégrer la juste mesure d’histoire et de cinématiques, concevoir des nouveaux ennemis... Mais il fallait impérativement que l’ensemble soit cohérent. Dans le cas contraire, certains joueurs se seraient dit “Que vient faire cet ennemi à cet endroit précis du jeu ?". Ils auraient été happés hors de l’expérience.
Cela aurait brisé l’immersion.
J’en suis venu à penser que ma façon de créer des jeux n’était qu’une longue quête de l’immersion. Ce n’est pas que je voulais ou que je ne voulais pas d’histoire. Je crois simplement que je cherchais à créer des jeux capables de transporter le joueur.
Je suppose que c’est ce qui a permis à New Super Mario Bros. Wii 14 de conquérir un si large public à travers le monde. 14New Super Mario Bros. Wii : jeu de plates-formes sorti en novembre 2009 sur Wii en Europe.
Je pense que c’est parce que nous avons permis à une majorité de joueurs de s’approprier le titre.
En d’autres termes, l’immersion a fonctionné.
C’est ce que je pense. Lorsque vous êtes pris dans le jeu et que vous prêtez attention aux ennemis, une connexion se forme. Vous remarquez certaines choses : vous commencez par croiser un ennemi inoffensif, et puis, quelques niveaux plus loin, vous rencontrez le même ennemi avec une couleur différente. Cette fois, il crache deux rochers au lieu d’un et vous devinez instantanément qu’il doit être plus fort. Vous comprenez la logique interne du jeu et vous expérimentez avec vos découvertes. C’est une forme d’interaction très intéressante. Plus ces interactions sont nombreuses et plus le jeu entre en résonnance. Je crois que cela contribue à vous donner le sentiment d’être à votre place, d’appartenir au jeu.
Je vois. Ce concept d’immersion permet d’expliquer beaucoup de choses.
Vous pouvez l’appliquer à d’autres domaines. Il peut faire toute la différence entre une bonne et une mauvaise série télévisée. Au lieu de se focaliser sur la qualité du scénario, il vaut mieux s’efforcer de composer des personnages réalistes.
Proposer des personnages crédibles en fonction des situations.
Ainsi, même si la série se déroule dans un milieu qui ne vous intéresse pas particulièrement, à partir du moment où les personnages vous rappellent des personnes que vous connaissez, vous vous sentez concerné. Je pense que c’est la même chose avec les jeux vidéo.
Nous voilà en pleine discussion philosophique. (rires)
C’est quelque chose qui me passionne ces derniers temps. (rires) Ça, et le concept d’interactivité propre au jeu vidéo.
Vous avez conçu Super Mario Galaxy 2 pour produire une immersion. En quoi cette approche a-t-elle influencé le titre final ?
Après avoir modifié le jeu, j’ai été voir Tezuka-san pour qu’il me donne son avis. Il a tout de suite trouvé que le rythme était meilleur.
Est-ce parce que les éléments superflus avaient été retirés ?
Pour faire simple, je crois que c’est parce qu’il avait pu entrer naturellement dans le monde du jeu.
Je vois. L’immersion était possible. Pour finir, y a-t-il d’autres éléments que vous aimeriez présenter aux joueurs ?
Eh bien, le titre du jeu est Super Mario Galaxy 2, nous avions vraiment l’intention de concevoir un jeu qui plaise à ceux qui avaient apprécié le premier épisode. Sinon, l’un des défis posés par la 3D est l’accessibilité. Les jeux en 3D sont souvent difficiles à prendre en main, c’est pourquoi il y a beaucoup de didacticiels. Les didacticiels sont importants pour les joueurs qui n’arrivent pas à se souvenir des commandes, mais ceux qui les connaissent déjà les trouvent vraiment barbants.
Ils ont envie de crier, “Je sais déjà tout ça, laissez-moi continuer !”
Oui. Mais nous sommes pourtant forcés de les intégrer.
C’est un dilemme constant.
Oui. Le problème se pose à chaque fois que nous concevons un titre Mario, mais nous voulions que les gens qui avaient déjà joué au jeu précédent puissent plonger immédiatement dans Mario Galaxy 2. Par conséquent, nous avons relégué les didacticiels à un système appelé Plasma Stuce . Vous pouvez les regarder si vous le souhaitez, ou foncer directement dans le jeu. Le titre propose un véritable challenge. Je dirais qu’il est 20% plus difficile que l’épisode précédent. Quand je joue seul la nuit, je m’énerve tout seul, je tape sur la table et je me mets à crier !
Hmm. Je serais curieux de voir ça. (rires)
(rires) C’est un jeu difficile mais qui donne toujours envie de recommencer. Les joueurs qui se mettent en tête de maîtriser le jeu pourront compter sur une grande marge de progression. Bien sûr, les nouveaux venus auront l’opportunité de découvrir un monde mystérieux, qui ne ressemble à aucun autre, avec cette petite touche Mario. Par exemple, si Mario fait un grand saut depuis une petite sphère, il entrera en orbite éternellement ! (rires)
Ça a l’air amusant !
Attention, c’est assez difficile à réaliser. Mais le plaisir que l’on retire à surmonter ce genre de défis fait aussi le sel des jeux de plates-formes. Il y a des passages qui risquent de déstabiliser les joueurs qui n’ont jamais joué à un jeu de plates-formes en 3D. Pour être honnête, cela nous a préoccupés jusqu’à la fin du développement.
Vous aviez l’air si inquiet que je me suis demandé si je pouvais faire quelque chose pour l’équipe.
Oui. Vous nous avez enlevé une belle épine du pied en suggérant d’inclure un DVD appelé "Apprenez les bases du jeu !" contenant des astuces. A ce stade du développement, nous n’aurions jamais pu inclure autant d’éléments dans les didacticiels. Nous avons réduit le nombre de didacticiels dans le jeu pour que les joueurs habitués au précédent Mario Galaxy puissent se lancer instantanément, et ce DVD nous a permis de contrebalancer cette décision difficile.
Le DVD comporte également des vidéos où l’équipe de développement fait la démonstration de ses talents. Ainsi, les joueurs confirmés ont une bonne raison de le regarder.
Nous avons aussi mis l’accent sur l’utilisation de la seconde télécommande Wii pour aider le premier joueur. C’est toujours intéressant d’avoir un mode coopératif, j’espère que les gens s’en serviront.
Au fait, vous aviez prévu d’écrire tous les textes du jeu, je me trompe ?
C’est exact. C’était la première fois que je le faisais depuis Mario 64. Au début, quand on m’a dit qu’il y aurait moins de 5 000 éléments de texte, j’ai pris la grosse tête en me disant que j’allais tout faire tout seul. Mais vers la fin du développement j’étais plutôt, “Bon, on va dire que je m’occupe de celles qui sont vraiment importantes et que je vous laisse le reste, hein ?” (rires)
(rires)
J’ai dû dire quelque chose du genre, “C’est bon, occupez-vous du reste ”. Et puis, au bout du compte, je me suis retrouvé à pinailler sur le texte écrit par les autres développeurs. Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.
C’est surprenant de voir à quel point vous vous êtes pris au jeu. (rires)
C’était très amusant.
Amusant ?
Pour moi en tout cas, les autres ont dû trouver ça assommant. Ils se disaient sûrement, “Non mais franchement, on s’en balance, non ?” (rires)
Ha ha ha ! (rires)
J’étais vraiment tatillon, mais je crois que c’était parce que je souhaitais favoriser l’immersion. Je voulais que les joueurs soient happés par le titre.
Même les quinquagénaires ! Quand j’y pense, j’ai rejoint leurs rangs en décembre dernier.
Eh oui, même eux ! (rires)
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