Pour la troisième partie de ces entretiens, j’aimerais interroger les deux personnes qui ont été chargées du développement de Wii Fit. Avant de commencer, pourriez-vous, messieurs, vous présenter et décrire en quelques mots quel a été votre rôle dans le développement de Wii Fit ?
Je suis Tadashi Sugiyama et je travaille à l’EAD. Sur Wii Fit, j’ai été chargé de la conception du logiciel. Avant ça, j’ai participé au développement d’autres logiciels, dont la série des Mario Kart, ce qui bien sûr est très différent de Wii Fit ! (rires)
Cela fait maintenant un moment que Sugiyama-san et moi-même sommes impliqués dans le développement des logiciels Nintendo. Sugiyama-san était responsable des graphismes du premier titre NES que j’ai programmé. Par contre, ne me demandez pas de quel titre il s’agissait, car je n’en ai plus la moindre idée ! (rires)
Je suis Hiroshi Matsunaga et j’appartiens également à l’EAD. Sur Wii Fit, j’ai occupé la fonction de directeur général. Jusqu’alors, mon rôle de concepteur s’était principalement limité à créer les graphismes de logiciels. C’était donc la première fois que j’étais responsable de l’ensemble de la gestion d’un projet. Juste avant Wii Fit, je travaillais sur l’animation et les effets visuels de Mario pour Mario 64 DS1. 1 Jeu d’action en 3D sorti en même temps que la Nintendo DS en décembre 2004 au Japon et en Mars 2005 en Europe.
J’imagine que vous avez dû être pour le moins dérouté lorsqu’on vous a parlé de Wii Fit pour la première fois. Quelle a été votre réaction quand Miyamoto-san vous a demandé de travailler sur un logiciel dans lequel l’utilisateur est censé se peser tous les jours ?
A l’origine, Miyamoto-san voulait que la console Wii soit accompagnée de plusieurs ensembles de logiciels dont “Sports Pack”, “Party Pack” et “Health Pack”. “Sports Pack” est devenu Wii Sports, “Party Pack”, Wii Play et “Health Pack”, Wii Fit. A cette époque, Miyamoto-san pensait utiliser une balance avec le “Health Pack” pour encourager les utilisateurs à allumer leur console au moins une fois par jour. J’ai trouvé cette idée très intéressante, mais lorsque le développement a commencé, je me suis vraiment demandé dans quoi je m’étais embarqué ! (rires)
Avec des jeux comme Mario Kart, vous savez d’emblée que Nintendo est prêt à investir beaucoup de temps et d’efforts pour faire du produit un succès. Pensiez-vous que Wii Fit prendrait une telle importance ?
Loin de là ! (rires) Jamais je ne l’aurais imaginé, d’autant que je ne voyais pas dans quel autre endroit que la salle de bains on pouvait bien mettre une balance.
Vu sous cet angle, je comprends mieux votre réaction ! (rires)
J’ai donc essayé de trouver une façon d’amener la balance dans le salon. J’ai d’abord pensé à l’utilisation d’une clé USB2… 2 Périphérique de stockage de données permettant de transférer des données sur ordinateur ou sur d’autres appareils électroniques.
L’idée était donc de se peser dans la salle de bains, de sauvegarder les données sur une clé USB puis de les transférer dans la console Wii pour regarder les résultats à l’écran. Sincèrement, je ne pense pas que ça aurait fonctionné ! (rires)
(rires)
Je me suis littéralement arraché les cheveux au début du projet en raison du nombre incroyable de contraintes qu’impliquait l’utilisation d’un accessoire de mesure du poids parallèlement à un logiciel. J’ai eu un mal fou à trouver de bonnes idées.
Matsunaga-san, Miyamoto-san vous a-t-il également demandé de concevoir un logiciel destiné à être utilisé avec une sorte de balance ?
Non. Miyamoto-san m’avait confié comme mission de travailler autour du concept de santé avant Sugiyama-san. J’avais déjà créé des logiciels tournant autour de ce concept pour la Nintendo DS.
Autrement dit, le thème de la santé vous préoccupait depuis plus longtemps que Sugiyama-san ! (rires) Vous veniez à peine de finir Super Mario 64 DS, et alors même que vous pensiez pouvoir souffler un peu on vous apprend que vous allez devoir travailler sur le concept de santé. Avez-vous été surpris ?
Plutôt, oui ! (rires) J’ai voulu me documenter en achetant des livres sur le sujet et en rassemblant des informations sur Internet. Cela dit, je ne savais pas du tout par où commencer. J’étais complètement perdu ! (rires)
Quel concept a principalement retenu votre attention au cours de ces recherches ?
Les régimes. J’ai d’abord pensé baser le logiciel autour de cette idée. J’ai donc acheté plusieurs ouvrages sur ce thème avant de réaliser qu’il existait un nombre insensé de types de régimes différents ! Certains se basent sur les exercices physiques, d’autres sur la gestion quantitative de la nourriture. Après avoir essayé de trouver un régime qui conviendrait à une majorité d’utilisateurs, j’ai décidé d’aborder les choses sous l’angle de la nutrition. Je me suis dit que les gens apprécieraient de comptabiliser le nombre de calories consommées lors de chaque repas grâce à leur DS.
Par exemple, si vous preniez des nouilles au déjeuner, vous n’auriez qu’à entrer cette information dans votre DS pour obtenir le nombre de calories de votre repas.
Je voulais également que les utilisateurs entrent leur poids dans la console et qu’ils comprennent par eux-mêmes que celui-ci peut varier en fonction de ce qu’ils mangent. J’espérais ainsi que les utilisateurs prendraient conscience de l’importance de leur alimentation.
J’ai une petite anecdote à raconter à ce sujet. Alors que le logiciel était encore en développement, je me pesais tous les jours avec Wii Fit. Pendant toute une semaine, j’ai constaté que je perdais un peu de poids chaque jour. Le problème, c’est que je mangeais à l’extérieur le dimanche et que lorsque je me pesais le lendemain matin, les chiffres parlaient d’eux-mêmes ! (rires) Un seul repas peut anéantir les efforts de toute une semaine ! Pour en revenir à votre logiciel, Matsunaga-san, vous vouliez que les utilisateurs comprennent pourquoi ils prennent ou perdent du poids. Est-ce à la même époque que Miyamoto-san vous a dit qu’il s’amusait à se peser tous les jours ?
Je n’ai su ça que bien plus tard, après avoir réalisé de nombreux essais. Tout ce que Miyamoto-san m’avait demandé au départ, c’était de développer un logiciel qui permettrait aux utilisateurs de consigner dans la DS tout ce qu’ils mangeaient. J’ai donc fabriqué un prototype en m’inspirant de ce concept.
Qu’en a pensé Miyamoto-san ?
Oh, beaucoup de choses ! (rires)
(rires)
Quand un projet ne fonctionne pas, Miyamoto-san n’est pas des plus commodes ! (rires) A quel moment est survenu l’autre tournant de ce projet ?
Quand l’idée d’utiliser une sorte de balance a été introduite. Dès lors, nous avons décidé de développer le logiciel pour la console Wii et non plus pour la DS.
Et c’est comme ça que vous avez fini par travailler avec Sugiyama-san.
C’est ça. Au début du projet, nous étions vraiment dans le vague et je ne savais même pas si nous allions réussir à créer un produit digne de ce nom. Nous avons commencé par acheter différents types de balances et nous avons interrogé des fabricants spécialisés dans ce secteur.
Dans quel but ?
J’avais dans l’idée que chaque foyer devait déjà posséder une balance et je voulais en savoir plus sur une éventuelle saturation du marché. J’ai ainsi pu apprendre que les balances les plus perfectionnées, comme celles capables de mesurer le taux de graisse corporelle, se vendaient encore plutôt bien. J’ai donc demandé plus de précisions sur ces produits. Je peux vous assurer que maintenant, les balances n’ont plus de secrets pour moi ! (rires)
Nintendo n’a pas pour habitude de parler de ses projets avec d’autres sociétés. J’imagine mal un de nos employés aller demander à une autre entreprise comment rendre Mario plus amusant ! (rires) Vous avez dû hésiter avant de vous rendre chez ces fabricants de balances.
Plutôt, oui ! (rires) Mais nous abordions un domaine qui n’était pas du tout de notre compétence et dans lequel nous n’avions absolument aucune expérience. Nous n’avions pas vraiment le choix.
Nous avons tellement peu l’habitude de procéder de cette façon que c’était la première fois que j’utilisais une voiture de l’entreprise ! (rires)
(rires)
Les entreprises que nous avons contactées n’avaient pas la moindre idée de ce dont nous voulions leur parler.
Elles devaient se demander ce qui pouvait bien pousser des développeurs de jeux vidéo à vouloir rencontrer des fabricants de balances ! (rires)
Certainement ! (rires) Nous avons essayé de leur expliquer que nous voulions créer une sorte de balance que l’utilisateur pourrait relier à la télévision, mais je ne suis pas certain que nous ayons réussi à leur faire comprendre les aboutissants d’un tel projet.
J’imagine que les fabricants n’ont pas dû saisir l’intérêt d’afficher son poids sur l’écran d’un téléviseur alors qu’on peut déjà le lire sur celui d’une balance ! Lors du précédent entretien, Sawano-san nous a même parlé d’un fabricant vous ayant proposé de vous mettre en contact avec une usine chinoise ! (rires)
Nous avons souvent été confrontés à ce genre de réactions ! (rires) Pour les fabricants de balances, les produits les plus intéressants d’un point de vue commercial sont les balances mesurant le taux de graisse corporelle. C’est peut-être la raison pour laquelle aucun d’entre eux ne s’est montré intéressé par nos idées, même s’ils écoutaient à chaque fois poliment ce que nous avions à dire.
© 2024 Nintendo.