La deuxième moitié du développement semble avoir été assez agréable, Sakamoto-san, mais au début du processus de développement, vous avez désespérément lutté pour tenter de créer l’histoire, n’est-ce pas ? (rires)
Oui ! (rires) Ça a été d’une difficulté considérable.
Je vous ai vu vous débattre, incapable d’organiser clairement l’histoire dans votre propre tête.
Quand il s’agit d’écrire des histoires, si on arrive à écrire, on peut le faire sans efforts, mais lorsqu’on n’y parvient pas, on est alors réellement incapable d’écrire le moindre mot. Je crois que le fait de ne pas être un écrivain de fiction professionnel joue aussi. Pour ce projet, je n’arrivais vraiment à rien écrire du tout. J’avais préparé tout le matériel, mais j’ai alors commencé à avoir des doutes, comme « Est-ce que ces deux parties sont correctement articulées ? », ou « Ça ne paraît pas un peu bizarre ? » et j’avais le sentiment d’avoir échoué sur tous les plans...
Oh oui, voilà bien un sentiment que je peux comprendre.
C’est peut-être légèrement exagéré, mais à un moment, j’ai un peu eu l’impression d’être devenu névrosé.
Je crois que c’est en effet excessif, mais de toute évidence, vous étiez assez troublé. (rires)
Tout ce que j’avais écrit commençait à sonner faux, ou à ressembler à une erreur.
Ce genre de choses arrive, c’est vrai. Quand l’anticipation et les énigmes commencent à s’entremêler, l’idée générale semble différente de ce que vous aviez prévu. Vous commencez à avoir l’impression qu’elle a été déformée.
C’est juste. Une fois que l’on s’est calmé, en revanche, et que l’on se penche à nouveau dessus, on réalise parfois que ce n’est pas vraiment le cas.
On est parfois surpris de voir que ça marche bien, n’est-ce pas ? Ceci étant dit, on rencontre souvent des problèmes comme un élément de l’intrigue qui se révèle un peut trop évident, par exemple.
Oui, absolument, cela arrive. Le pire exemple que j’en aie jamais eu était en fait sur ce projet.
Néanmoins, une fois sorti de cette situation difficile, Sakamoto-san, vous vous êtes investi de plus en plus dans les micro-détails du développement et avez fini par faire un peu de tout, y compris travailler dur sur de minutieux réglages de timing, ce genre de choses. Pour METROID : Other M, vous pensiez essayer de fusionner de manière homogène les parties auxquelles vous vouliez qu’il soit amusant de jouer et les parties présentant l’histoire. Quel processus de réflexion cela a-t-il impliqué pour vous, Sakamoto-san, et quel a été le point de départ de cette réflexion ?
Quand nous avons créé Super Metroid19, nous avons incorporé un peu de narration dans la production en insérant, juste à la fin, quand Samus est sur le point de succomber, la scène durant laquelle le bébé Metroid vient la sauver. Beaucoup de gens n’étaient pas d’accord dans l’équipe quand j’ai décidé de faire ça, demandant si cela ne reviendrait pas à ôter totalement le contrôle au joueur. 19 Super Metroid est un jeu d’action pour SNES, sorti au Japon en mars 1994 et en Europe en juillet 1994. Il s’agit du troisième opus de la série.
Ils demandaient donc : « C’est un jeu, est-ce donc vraiment correct que le joueur ne puisse pas le contrôler », c’est cela ?
Oui. Ils disaient des choses comme : « C’est terrible, les joueurs vont sûrement être en colère », mais j’ai pris le risque, essayé de le faire quand même, et les réactions ont été plutôt bonnes. À ce moment-là, j’ai senti que nous tenions quelque chose...
La scène que vous mentionnez apparaît aussi comme cinématique au tout début du dernier jeu. Quand vous avez créé cette scène pour la première fois, Sakamoto-san, vous pensiez que même les jeux d’action pouvaient raconter des histoires, n’est-ce pas ?
Oui, en effet. Néanmoins, il y a eu un « trou » après cela dans la série Metroid, et neuf ans plus tard, j’ai participé au développement de Metroid Fusion en me disant : « Faisons un jeu avec une trame narrative plus prononcée ». Cette fois-là aussi, je dirais que ça s’est bien passé, même si c’est mon avis...
Vous avez senti que vous teniez quelque chose encore une fois, c’est cela ?
Oui. J’ai eu le sentiment que nous avions créé quelque chose avec une trame narrative plus mûre, plus sérieuse, pourrait-on dire, mais qui était aussi un véritable jeu d’action Metroid. Par conséquent, je me suis dit : « Voilà la direction que les choses pourraient prendre à l’avenir... » D’un autre côté, étant donné les limites du style Metroid de défilement en 2D, j’ai eu le sentiment que nous avions atteint une impasse, et je me suis demandé : « Les jeux d’action peuvent-ils vraiment aller plus loin que cela ? »
Vous vous êtes demandé si les jeux d’actions comme moyen de faire tenir une histoire pourraient jamais évoluer ?
C’est cela. J’avais l’impression qu’à mesure que le temps passait, on observait une tendance grandissante à souhaiter des jeux confortables et pratiques. Les joueurs disaient : « Je déteste les jeux difficiles. Je n’ai pas vraiment envie de voir l’écran de fin de partie. » Cela ne voulait pas dire que nous pouvions simplement augmenter sauvagement le nombre de points de sauvegarde, ou que juste après que les joueur ont reçu des dégâts, leur donner largement assez d’énergie pour compenser cela. Si nous l’avions fait, les gens se seraient dit : « Ça ne sert à rien, pourquoi avons-nous dû relever ce défi au départ, dans ce cas ? »
Ils en auraient conclu que cela avait été fait seulement par opportunisme ! (rires)
C’est exact. C’est pour cela que je n’arrêtais pas de me dire : « Que pouvons-nous faire avec Metroid ? », jusqu’à ce que j’arrive à ce dernier opus, METROID : Other M. Au départ, j’ai pensé essayer de reconstruire Metroid comme un jeu d’action en reprenant tout depuis le début, sans m’entraver d’aucune règle prédéfinie. J’ai décidé de créer quelque chose qui, tout en étant un jeu en 3D, pourrait être contrôlé en utilisant seulement une télécommande Wii et donnerait l’impression de jouer à un jeu en 2D. Cela a été déclenché par mon sentiment que les gens ne veulent pas vraiment de jeux compliqués. J’ai pensé que des commandes aussi simples pourraient permettre de tisser une histoire, un peu comme lorsqu’on sélectionne des commandes dans un jeu d’aventure textuel. Je me suis donc dit que si les cinématiques étaient bien reliées entre elles, je serais capable de créer un jeu d’aventure semblable à une aventure textuelle. Je déclarais aux gens autour de moi, en plaisantant à moitié, des choses comme : « Nous créons Metroid Tantei Club (“Metroid Detective Club”) ! »
Metroid Tantei Club, hein ? (rires)
Oui ! (rires)
Quand on se repenche sur les jeux auxquels vous avez participé, Sakamoto-san, ils sont uniques, c’est certain, même s’ils ont des styles plutôt différents. À tel point que vous pouvez faire ce genre de plaisanterie !
(rires)
Quiconque réalise qu’une seule et même personne est à l’origine de METROID : Other M, mais aussi de Tomodachi Collection20 et de la série WarioWare21, sans parler de Famicom Tantei Club et Tokimeki High School, faits avec Sakaguchi-san il y a toutes ces années, se dit forcément : « Mais comment peut-il avoir une palette aussi large ?! » (rires) 20 Tomodachi Collection est un jeu Nintendo DS destiné à communiquer avec des personnages ressemblant à vos amis et à d’autres personnes que vous connaissez dans la vie réelle. Il a été commercialisé en juin 2009 au Japon.21 La série de jeux WarioWare rassemble une compilation de plusieurs micro-jeux d’action instantanée. Pour l’instant, un titre de la série est sorti pour chaque console, y compris WarioWare, Inc. : Mega Party Games!, WarioWare : Touched! et WarioWare : Smooth Moves. Le premier jeu de la série, WarioWare, Inc. : Minigame Mania est sorti au Japon en mars 2003 et en Europe en mai 2003. Sakamoto en était le producteur.
Il a une palette immense ! (rires) Vous avez aussi créé la base des Mii, n’est-ce pas ?
À l’origine des Mii, il y a Sakamoto-san, qui est un jour venu me voir avec de très bonnes caricatures qu’il avait réalisées avec la structure des Mii. C’est ce qui a tout déclenché. Si je devais parler franchement, Sakamoto-san, vous êtes venu me voir ce jour-là parce que vous vouliez vous mettre en valeur, n’est-ce pas ?
C’est exact ! (catégorique)
(rires)
J’avais l’impression que les Mii avaient été créés à l’origine pour la console Wii, et que ces personnages avaient ensuite été utilisés pour Tomodachi Collection.
En réalité, c’était l’inverse.
Au départ, nous avions envisagé un jeu basé sur la divination, et même si cela semblait prometteur, ça n’a pas réussi à prendre forme en tant que produit. Pour se venger d’être arrivée dans une impasse, l’équipe a créé une sorte de montage.
Hein, ils se sont vengés d’être arrivés dans une impasse ?
Oui, c’est ça. (catégorique)
(rires) Au départ, nous l’avions appelé « Le carnet de divination ». Ce « carnet de divination » a plus tard vu le jour sous le nom de Tomodachi Collection, mais le prototype de ce jeu était Tottoko Hamtaro Tomodachi Daisakusen Dechu22, un autre jeu auquel Sakamoto-san a collaboré. 22 Tottoko Hamtaro Tomodachi Daisakusen Dechu est un logiciel de recherche d’amis pour Game Boy Color compatible avec la connexion infrarouge. Il est sorti au Japon en septembre 2000.
Ahh ! Oui, je connais bien ce logiciel. Ma fille y a beaucoup joué.
Oh, vraiment ? Les diagnostics de compatibilité de partenaire et de métier conseillé sont étonnamment précis, vous savez.
Oui, je les ai moi-même essayés, de nombreuses fois !
(rires)
Ma fille venait me voir en disant : « Papa, laisse-moi te dire l’avenir ». Les mots qui sortaient étaient vraiment intéressants. Le jeu était tellement populaire à la maison que je me souviens très clairement de certains d’entre eux. Tout le monde, y compris la grand-mère de ma fille, se faisait prédire l’avenir.
Eh bien, j’en suis très heureux ! (rires)
Ma fille est aussi complètement accro à Tomodachi Collection. Mais j’ignorais que le logiciel Hamtaro avait servi de toile de fond au développement. Notre famille a joué aux jeux de Sakamoto-san sans même savoir que vous étiez derrière. Eh bien... Quelle surprise !
Merci beaucoup ! (rires)
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