Lorsque vous faites un jeu The Legend of Zelda, comment envisagez-vous le scénario ?
Les scénarios dans The Legend of Zelda peuvent ne pas correspondre entre eux à mesure que la série avance. Nous passons pourtant énormément de temps à essayer de les faire coller. Cela simplifierait beaucoup les choses si les joueurs disaient : « Oh, ça n’a pas vraiment d’importance. » (rires)
(rires) Vous préfèrerez dépenser votre énergie à créer des éléments de jeu plutôt que le scénario.
Exactement. Les gens demandent parfois si Yoshi est un garçon ou une fille. Si je réponds : « Sans doute un garçon », alors ils disent : « Et donc un garçon pond des œufs » ? (rires)
(rires)
Mais à la seconde où je dis que Yoshi pond des œufs et que ce doit donc être une fille, alors ils répondent : « Dans ce cas, il faudrait que la voix de Yoshi ressemble plus à celle d’une fille ! » Mais j’ai envie de créer des jeux vidéo sans avoir à me préoccuper de ce genre d’informations sur l’historique. Prenez par exemple la série de dessin animé Popeye12. Dans les vieux dessins animés comme ceux-là, les rôles des personnages étaient à chaque fois différents. 12. Popeye : série de dessin animé américaine. L’histoire comique s’articulait autour du même personnage, Popeye, sa petite amie Olive, et son rival Brutus. La série fut diffusée au Japon de 1959 à 1965.
Le décor changeait à chaque fois.
Même si le décor était chaque fois différent, les personnages que l’on connaissait et appréciait apparaissaient et faisaient leur numéro. Eh bien les jeux Mario sont construits de la même manière. Ce serait beaucoup plus simple si l’on pouvait utiliser n’importe quel décor dans The Legend of Zelda tout en conservant les principales relations entre Link, Ganon et Zelda.
Mais quand une série s’est étoffée sur une aussi longue période, ce n’est pas facile.
C’est vrai. Surtout lorsqu’il s’agit de l’histoire des jeux Zelda, nous ne pouvons pas décevoir. Avec Ocarina of Time, nous avons donc travaillé sur le scénario avec des références aux anciens jeux de la série.
En matière d’utilisation de la fonction des personnages pour peindre le personnage principal, chose à laquelle vous avez fait très attention, les scènes cinématiques ont aussi joué un rôle important.
C’est exact. Les traiter en temps réel a été un nouveau défi qui a commencé avec Star Fox 64.
Il paraît que vous dites aux gens que cela ne pose pas de problème de faire des scènes cinématiques, mais qu’il faut pouvoir les modifier jusqu’à la veille du jour où le jeu doit être terminé. (rires)
Oui. (rires) C’est l’une de mes caractéristiques de modifier le jeu juste avant la livraison finale.
Est-ce vraiment une caractéristique ? (rires)
Bien entendu ! (rires) Les cinématiques pré-rendues et la manière dont je fais les jeux sont incompatibles.
À l’époque, on aimait beaucoup utiliser les cinématiques pré-rendues – des vidéos préparées à l’avance, destinées à être lues à des moments précis du jeu - mais une fois faites, il était difficile de les corriger ensuite.
Si je voulais corriger quelque chose, on pouvait me dire : « Il va nous falloir au moins un mois pour corriger cela. » Dans le pire des cas, je pouvais même entendre : « La cinématique est faite, on ne peut donc pas changer. »
Oui. (rires)
Moi je disais : « Hein ? Cela rendrait les choses plus amusantes, alors pourquoi ne peut-on pas la changer ? » Et la réponse était : « Parce qu’on ne peut pas changer les cinématiques. » Et je pensais : « Mais qu’est-ce qui est le plus important pour les fans, les cinématiques ou l’amusement ? » C’est pour cette raison que j’ai adopté une méthode de traitement des cinématiques en temps réel.
C’est (Takumi) Kawagoe-san qui était chargé des cinématiques en temps réel, n’est-ce pas ?
Kawagoe-san était un programmeur, mais c’est un grand amateur de cinéma, il était donc très intéressé par le montage de film et les scènes dramatiques. Je lui ai demandé de faire quelques extraits vidéo complets, comme pour les vrais films. Je crois que c’était à peu près à l’époque où nous faisions un storyboard juste pour Nintendo.
Dessiniez-vous vous-même les storyboards ?
Très peu. Je suis capable de dessiner des vignettes simples, mais pour l’essentiel, je contrôlais ce qui était fait pour dire : « Ça, ça devrait être plutôt comme ça » et « Montrez-moi ça. » Prenez par exemple le premier combat de boss, contre Gohma.
C’est dans le donjon à l’intérieur de l’Arbre Mojo.
Oui. Quand vous entrez dans la pièce où se trouve ce boss, Gohma est suspendu au plafond, on ne le remarque donc généralement pas, même si l’on entend un bruissement. Nous commençons donc par positionner la caméra du point de vue de Gohma qui regarde Link d’en haut, puis la caméra se rapproche de Link, apeuré, puis nous changeons le point de vue pour que ce soit Link qui lève la tête vers Gohma.
De cette manière, on apprend où se trouve Gohma.
Nous avons utilisé des petites scènes cinématiques comme celle-là pour expliquer certaines choses comme la position des boss, grâce à des méthodes qui ne peuvent être utilisées que dans le jeu vidéo. Utiliser des cinématiques était incroyablement novateur et très amusant.
J’ai entendu dire par Osawa-san que vous aviez consacré beaucoup d’efforts à la scène durant laquelle le cheval saute par-dessus la barrière du ranch Lon Lon.
Eh bien, disons que plutôt qu’y consacrer beaucoup d’efforts, nous repoussions les limites du nouveau matériel, la console Nintendo 64, aussi loin que possible. Je voulais que cela soit sympa sans avoir l’air étrange. Si l’on pouvait quitter le ranch depuis n’importe où, les parties brutes de l’endroit risquaient de sauter aux yeux, nous avons donc réfléchi à insérer de force un événement spécial.
Vous avez inséré ça de force ? (rires)
Oui. Vous savez ce type, Ingo, qui est au ranch ?
Oui. Il n’a pas une personnalité très sympathique et ressemble un peu à Luigi. (rires)
C’est vrai. (rires) Ingo et Link font une course de chevaux. Si Link gagne, il obtient le cheval nommé Epona, mais Ingo ferme le portail d’entrée du ranch.
On saute alors par-dessus la barrière sur Epona et on s’enfuit.
C’est exact. Au départ, j’avais imaginé une scène dans laquelle Ingo, dans un coup de folie, mettait le feu au ranch, pour qu’Epona puisse sauter sur un fond de flammes. Mais quelqu’un a dit : « Et quand Link reviendra au ranch, ensuite ? » J’ai donc laissé tomber l’idée. (rires)
(rires) Tout à l’heure, je vous ai demandé pourquoi vous vouliez tant montrer Link jeune. Pourquoi vouliez-vous tellement qu’il y ait un cheval dans le jeu ?
J’imagine que c’est parce que nous avons grandi avec des westerns de cowboys.
Les westerns étaient autrefois très populaires à la télévision.
Ils ont eu sur moi une grande influence. Et les fontaines à eau qu’il y avait dans les écoles étaient toujours dotées de tasses en aluminium. Nous avions l’habitude de les retourner et de les frapper contre le béton en rythme pour créer le bruit d’un cheval au galop. (rires)
C’est vrai, on s’amusait à ça. (rires)
C’est pour cela que nous aimions tous les chevaux quand nous étions enfants. Ce rythme est enraciné en nous. C’est pour cette raison que je voulais vraiment que l’on puisse monter à cheval dans Ocarina of Time.
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