Pour aller un peu plus loin sur le sujet, lorsque des fans intègrent une structure, ils comprennent et aiment de façon excessive les produits de cette société. Leur attitude diverge donc de celles d’autres personnes. Cela représente un défi pour de nombreux groupes de développeurs, de nos jours. Mais j’ai l’impression que cela n’arrive guère, chez Capcom. Vous êtes capables de conserver l’attrait principal du jeu sans vous écarter de ce qui en fait l’essence même.
Oui. Nous nous sommes essayés à un grand nombre de styles différents, mais nous sommes conscients que nous sommes doués pour certains et pas pour d’autres. Nous essayons de nous développer sur les zones dans lesquelles nous réussissons.
Un groupe capable de dire : « Voilà ce pour quoi nous sommes doué » est attrayant. J’entends souvent dire ces derniers temps qu’hors du Japon, les jeux rencontrent moins de succès qu’autrefois. Mais Resident Evil continue d’être bien reçu partout dans le monde.
D’un autre côté, de notre point de vue, les jeux de Nintendo sont tellement solides que nous cherchons toujours à apprendre quelque chose d’eux.
Il existe toutes sortes de divertissements dans le monde, mais la frontière est mince entre la stabilité et l’enlisement dans la routine. Si l’on fait sans arrêt les mêmes choses, les gens s’en lassent. Si l’on crée quelque chose de très confortable, ils diront que c’est toujours la même recette éculée, mais si l’on est trop aventureux, ils diront que ça a trop changé. C’est un dilemme auquel tous les développeurs se retrouvent confrontés lorsqu’ils créent un jeu pour une série.
C’est vrai.
L’équipe Nintendo qui travaille sur la série Super Mario Bros.14 change progressivement de mains d’une génération à la suivante. Lorsque les membres de l’équipe représentant différentes générations se rassemblent, ils parlent de Iwata demande: Super Mario Galaxy. C’est également vrai pour la série The Legend of Zelda15. Je suis certain que Resident Evil possède une essence propre, et au fur et à mesure que les générations changent et que davantage de personnes se retrouvent impliquées, elles la perpétuent et y ajoutent de nouveaux éléments. Comment exprimeriez-vous l’essence de Resident Evil ? 14 Série Super Mario Bros. : le premier jeu de la série est sorti sur la console Family Computer (Famicom) en septembre 1985, au Japon. 15 Série The Legend of Zelda series : le premier jeu est sorti sur la console Family Computer Disk en février 1986, au Japon.
En un mot : « peur ». Mais la peur seule ne suffit pas. Je crois que l’une des raisons pour lesquelles tant de gens apprécient Resident Evil depuis si longtemps, c’est que nous avons réussi à fournir un haut niveau de qualité en termes d’éléments de jeu comme les graphismes et le son. Je crois que Resident Evil : Revelations est pour nous une bonne occasion d’attirer un public plus large, puisqu’il s’agit d’un titre totalement nouveau, qui ne fait pas partie des opus de la série.
Tout à l’heure, vous avez parlé du contraste. Il existe dans les jeux un contraste saisissant entre la peur et le soulagement. La peur ininterrompue ne serait pas très amusante. (rires)
Plus personne ne voudrait continuer à jouer.
Il est intéressant de voir le grand nombre de femmes qui déclarent : « Ça ne me plaît pas parce que c’est effrayant », tout en continuant à tenir la manette et à jouer. Je me demande pourquoi cela arrive si souvent. J’ai l’impression que c’est peut-être un indice pour découvrir la clé du succès de Resident Evil.
Peut-être que les femmes ont une plus grande tolérance à l’horreur. (rires) De nombreux films et romans graphiques sont destinés aux femmes. L’attrait de Resident Evil, et l’attrait de l’horreur en général, réside dans la peur de l’inconnu. Une partie du plaisir du jeu consiste à rencontrer des adversaires et à les affronter, mais le véritable frisson d’un jeu d’horreur est en réalité ce qui mène à cela : cette atmosphère terrifiante dans laquelle on se dit : « Quelque chose pourrait bondir de cet endroit... »
La partie la plus effrayante dure jusqu’à ce que quelque chose attaque.
Oui. On a l’impression que quelque chose va bondir, mais ça n’arrive pas toujours. C’est cette incertitude qui rend accro ! (rires)
Oui, c’est tout simplement effrayant. Effrayant, mais on ne peut pas s’arrêter. J’imagine que cela a quelque chose à voir avec le plaisir que l’on a à être libéré de la peur.
Oui. On fait attention aux différentes manières qu’ont les joueurs d’évacuer leur peur, en brûlant tout avec leur arme, par exemple. Le contraste dans ce rythme est important aussi.
Je me demande si ce qui a nourri la série pendant toutes ces années est le fait que l’équipe saisit mieux que d’autres certaines choses concernant la création de jeux d’horreur. J’ai l’impression qu’il y a peut-être une tradition ancrée dans l’équipe, ou une force sous-jacente chez ceux qui ont porté et alimenté l’essence de Resident Evil. Le fait que le point de vue soit celui d’une caméra fixée dans la pièce est né à cause des restrictions initiales imposées par un fond immobile, et Resident Evil s’est construit sur cela au fur et à mesure de son évolution jusqu’à aujourd’hui. Les jeux sont désormais capables de bien plus, le contraste entre la peur et le soulagement s’est intensifié et ils sont devenus très dynamiques.
J’ai entendu dire que le jeu idéal de l’équipe de développement était un jeu dont tous les niveaux étaient en 3D, comme dans Resident Evil 4. Malheureusement, à l’époque, le matériel ne permettait pas les images idéales, le jeu a donc fini par inclure une caméra fixe.
Le style a énormément changé avec Resident Evil 4. Les fans l’ont vraiment adoré. Une franchise qui s’établit sur le long terme connaît nécessairement d’importants changements, même si elle reste fidèle à ses racines, et à cet égard, je crois que Resident Evil s’en est bien sorti.
Je n’ai pas participé directement au développement de Resident Evil 4 pour Nintendo GameCube, mais c’était peut-être une bonne chose. Contrairement à l’équipe opérationnelle, j’étais capable d’avoir un point de vue objectif. Le directeur avait des idées arrêtées sur le sujet, les membres de l’équipe tout autour ont répondu à toutes les exigences difficiles et le planning était serré. Je me suis dit que cela prenait le chemin d’un jeu remarquable, comme si un miracle était en train de se produire.
De l’extérieur, on voit beaucoup mieux comment les choses se passent.
Exact. Les membres de l’équipe me demandaient toujours : « Et ça, on s’amuse en y jouant ? ». Ils faisaient sans arrêt des ajustements et avaient donc besoin de quelqu’un pour les regarder d’un œil objectif, pour leur dire si ce qu’ils faisaient était vraiment amusant ou non.
Pourquoi pensez-vous que ce miracle s’est produit ?
Pour moi, l’une des raisons étaient que nos ingénieurs étaient incroyablement habitués à la console Nintendo GameCube. Développer pour ce type de matériel a toujours été facile, mais nous avons réussi à prendre une bonne partie du savoir-faire de Resident Evil et à en faire bon usage. L’équipe elle-même se développait bien. Cependant, par-dessus tout, l’enthousiasme du directeur (Shinji) Mikami-san et son talent inné pour la création de jeu étaient tout bonnement remarquables, et cela collait bien avec la qualité de l’équipe et le timing du développement.
Pour pouvoir apporter un aussi grand changement au jeu, il vous fallait écarter les méthodes que vous aviez utilisées jusqu’alors. Cela a dû être perturbant. Mais ceux qui ont été témoins de ce miracle ont dû sentir que leurs chances d’assister à une chose pareille jusqu’au bout avaient augmenté, car il est incroyablement important de croire que l’impossible peut devenir possible. La transformation radicale engagée par Resident Evil 4 était un défi important, qui a déterminé la solidité future de la franchise.
Oui. Les développeurs étaient fermement décidés à opérer un changement total. Avoir une idée définie de ce à quoi on veut parvenir est plus important que tout le reste lorsque l’on développe un jeu vidéo, et lorsque l’on crée quelque chose, en général.
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