Merci beaucoup d’être venu aujourd’hui.
Merci de m’avoir invité.
C’est la première fois que nous nous rencontrons ainsi, Nomura-san ?
Effectivement. Oui.
Nous n’avions aucune raison de nous rencontrer auparavant, mais cela fait longtemps que je voulais m’entretenir avec vous.
Vraiment ?
J’aimerais commencer en parlant de THEATRHYTHM FINAL FANTASY1. J’ai eu l’occasion de discuter avec Hazama-san2 il y a peu, et j’ai eu l’impression que vous étiez son mentor, Nomura-san. 1 est un jeu de rythme et d’action qui sortira en Europe à l’été 2012. 2Ichiro Hazama travaille pour Square Enix. Il est le producteur de .
Oh oui, nous sommes de bons amis.
J’ai eu l’impression que Hazama-san vous voit comme quelqu’un qui le guide tout au long du processus créatif. Quelle a été votre réaction lorsqu’il vous a parlé de cette idée de THEATRHYTHM ?
Eh bien... Je n’imaginais pas un développeur avoir ce genre d’idée.
Ah, je vois. Vous voulez dire que les personnes qui réalisent généralement les jeux n’ont pas ce genre d’idée ?
Exactement. La plupart des personnes n’abordent pas les jeux d’une même perspective. Hazama-san, lui, est parti de l’idée suivante : « Je veux utiliser les visuels existants pour produire un jeu. » Je pensais que c’était un concept véritablement intéressant, et je l’ai encouragé à continuer sur cette voie.
Je crois que vos paroles ont été d’un grand secours à Hazama-san. Je me souviens l’avoir entendu dire que « les créateurs sont des gens incroyables. Ils suivent leur propre voie, et bien que ce soit parfois difficile, ils sont toujours persuadés qu’ils atteindront leur objectif. J’ai encore fort à faire avant de leur arriver à la cheville, mais je les respecte et les admire beaucoup. » J’ai trouvé cela très intéressant.
Je trouve que c’est toujours intéressant de parler à quelqu’un qui a des caractéristiques ou des talents dont vous êtes dépourvu. En parlant à Hazama-san, j’ai vraiment senti qu’il avait quelque chose que je n’avais pas.
Je pense que la popularité de THEATRHYTHM a pris de l’ampleur grâce à sa démo3. C’est vous qui avez proposé cette idée de version de démonstration, ou je me trompe, Nomura-san ? Je me demandais si vous pourriez nous en dire un peu plus. 3Cette « démo » renvoie à la version de démonstration de qui peut être téléchargée via le Nintendo eShop au Japon.
Eh bien, plusieurs manifestations liées au jeu ont lieu tous les ans, et j’ai l’habitude de regarder les réactions des joueurs aux titres qu’on leur présente. La queue pour jouer à la première version d’essai de THEATRHYTHM était incroyable. On a beaucoup vu sur les blogs et sur Twitter des commentaires tels que « C’était très amusant ! », et « J’ai fait plusieurs fois la queue », et j’ai senti une très bonne réaction dès le premier jour. J’ai réalisé que pouvoir jouer au jeu a vraiment amélioré l’impression que les gens en ont.
Vous pensiez donc qu’il était préférable que les joueurs puissent essayer le jeu eux-mêmes ?
Exactement. C’est pour cette raison que j’ai proposé de créer une version de démonstration.
Vous intéressez-vous souvent à la réaction des joueurs, Nomura-san ?
Tout à fait. Bien entendu, je les regardais jouer, mais j’aime également voir leurs réactions aux vidéos promotionnelles. Regarder ces réactions permet aussi de comprendre quelles parties d’un jeu trouvent son public. J’ai donc commencé à m’y intéresser à chaque fois que c’était possible.
Il y a toujours des écarts entre les réactions que vous escomptez des joueurs et celles auxquelles il donne lieu, et corriger de tels écarts est une tâche quasi quotidienne. Est-ce une pratique habituelle à laquelle votre équipe et vous vous livrez, Nomura-san ?
Oui, je me penche toujours sur la façon dont le public réagit lorsque le jeu que nous avons crée lui est montré. C’est quelque chose que je fais depuis un certain temps. J’ai aussi demandé à certains membres clefs de l’équipe d’observer également les réactions de nos clients.
C’est donc quelque chose que vous avez décidé de vous-même, pas quelque chose qu’on vous a dit de faire. Les artistes ne croient pas toujours au fait de donner au public ce qu’il veut. Au contraire, parfois ils vont à l’encontre de ce que les joueurs attendent, ils préfèrent ce qui n’est pas conventionnel. En même temps, ils s’intéressent de près à la réaction des gens, à leurs propositions, et essaient de concilier leur vision et les réactions des joueurs lorsqu’ils travaillent sur un projet.
C’est exact.
Cette conversation me fait découvrir une facette de vous dont j’ignorais l’existence, Nomura-san. Je crois avoir le même schéma mental que vous, et c’est pour cette raison que votre approche a un écho en moi.
Oh, je vois ! (rires)
Maintenant, intéressons-nous à Kingdom Hearts4. Ce jeu a rencontré un grand succès au cours des dix dernières années, mais c’était le premier jeu que vous dirigiez. C’est bien ça ? 4 est une série de jeux de rôle et d’action créés par Tetsuya Nomura. Le premier opus de la série est sorti au Japon en mars 2002. Il se distingue par son utilisation de thèmes et de sujets issus de l’univers de Disney.
Oui, tout à fait.
Aujourd’hui, les personnages de la série Kingdom Hearts partagent les univers des personnages créés par Disney, une de sociétés les plus regardantes sur l’utilisation de ses personnages. Je me souviens d’une expérience semblable à l’époque où nous réalisions Smash Brothers5, et je m’étais dit combien c’était difficile. J’aimerais donc savoir comment une telle collaboration a débuté, et comment vous avez surmonté de telles difficultés. 5Smash Brothers renvoie à Super Smash Bros., une série de jeu de combat et d’action. Le premier opus de la série, destiné à la Nintendo 64, est sorti au Japon en janvier 1999.
On dit souvent que tout a commencé lors d’une rencontre alors que nous étions dans le même bâtiment... L’idée de réaliser un jeu avec Disney remonte à bien plus loin. Il se trouve qu’un jour, je m’étais retrouvé, pour une raison quelconque, dans la même pièce que Hashimoto-san6 et Sakaguchi-san7... 6Shinji Hashimoto est un cadre dirigeant de Square Enix Holdings. Il a été producteur de plusieurs titres, dont Final Fantasy VII, avant la fusion entre Square et Enix. 7Hironobu Sakaguchi est l’inventeur de la série des Final Fantasy. En 2001, il a fondé son propre studio de développement, Mistwalker Studios.
Vous vous étiez retrouvés là en même temps ?
Oui. On m’avait demandé de venir pour une toute autre raison, mais, à mon arrivée, Hashimoto-san et Sakaguchi-san parlaient d’une discussion qu’ils avaient eue avec Disney. Ils disaient en substance : « Mickey aurait été génial, mais nous ne pouvons pas l’utiliser. » À l’instant même, je levais la main et je disais : « Je veux être de la partie. » C’est ainsi que tout a commencé. Mais à ce moment-là, je ne pensais pas vraiment à faire un jeu mettant en scène Mickey...
(rires)
Toujours est-il qu’à la fin, ils sont tous les deux arrivés à la conclusion qu’ils allaient « laisser Tetsu essayer. »
Pourquoi aviez-vous levé la main ? Qu’est-ce qui vous intéressait ?
Mario 648 est sorti quand je travaillais sur FFVII9. J’avais été très impressionné par ses environnements en 3D et la possibilité de courir un peu partout. Lorsque j’avais dit à mes collègues que je voulais faire un jeu dans ce genre, ils m’avaient répondu que Mario était un personnage mondialement connu et que ce serait impossible de repartir du début avec un personnage entièrement nouveau. 8Mario 64 renvoie à Super Mario 64, un jeu d’action sur Nintendo 64 commercialisé au Japon en juin 1996. 9FFVII renvoie à Final Fantasy VII commercialisé au Japon en janvier 1997. Il s’agissait du 7e opus de la série.
Ils ne pensaient pas que vous seriez de taille à rivaliser avec Mario ?
C’est bien ça. Quelqu’un m’avait même dit : « La seule façon d’y parvenir est d’utiliser des personnages aussi célèbres que ceux de Disney. » C’était resté gravé dans ma mémoire, et lorsque j’ai entendu qu’il était possible de travailler avec des personnages Disney, j’ai sauté sur l’occasion.
Donc, vous avez levé la main parce que Mario 64 avait eu un grand impact sur vous et parce que votre collègue avait dit que ce serait impossible de créer un jeu similaire, à moins d’utiliser des personnages Disney. Ces mots sont restés gravés dans votre esprit, et on connaît la suite !
C’est bien ça ! (rires)
Eh bien, on peut dire que le destin emprunte des chemins pour le moins curieux !
Note de la rédaction: Cette interview a été initialement publiée le 3 avril 2012 sur le site Internet japonais de Nintendo. Elle contient des captures vidéo tirées de la version japonaise du jeu. En France et en Belgique, ce jeu sera disponible en français.
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