Quel élément de la série Tales of est tout simplement crucial ?
Ce sont des jeux avec une histoire dont les joueurs aiment incarner les personnages, donc, par exemple, on ne dit jamais : « C’est lui le méchant ». Au bout du compte, l’équipe des héros affronte ceux qui veulent plonger le monde dans le chaos, mais...
Vu sous cet angle, il y a donc le bien et le mal.
Mais les méchants n’ont pas un fond totalement mauvais. Ils ont leurs raisons. Ils pensent : « Nous devons agir sur la façon dont tourne le monde ». Les héros, en revanche, pensent que ce n’est pas bien. Leurs points de vue s’opposent donc. Nous essayons de ne pas prendre parti.
Une caractéristique, c’est que vous essayez de présenter un monde où il n’y ait pas clairement le bien et le mal, mais au bout du compte, le mal est vaincu et la justice triomphe.
Autrement, cela ne serait pas réaliste. Partout dans le monde, il y a des conflits, et chaque camp pense qu’il a raison. Il se peut que les méchants soient considérés comme méchants simplement parce que la personne qui se fait entendre le plus pense ainsi.
Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, alors le camp qui gagne dit que l’autre camp est mauvais.
Nous essayons de ne pas modifier notre schéma selon lequel le camp adverse a toujours ses propres motivations. Je ne considère pas que nos jeux soient des jeux de rôle : vous n’incarnez pas un rôle, mais plutôt un personnage. En d’autres termes, le héros n’est pas votre doublure, mais un personnage en tant que tel avec sa personnalité propre, si bien que je définirais plutôt nos jeux comme des jeux de personnage.
Vous utilisez souvent cette expression ?
Pas souvent, mais c’est ainsi que je vois les choses. Nous les qualifions de jeux de rôle pour que les joueurs comprennent, tout en précisant un genre à chaque fois, mais il ne s’agit pas de simples jeux de rôle.
Vous les qualifiez de jeux de rôle pour éviter toute confusion, mais il y a une différence subtile.
« Tout le monde peut bien penser que ce sont des jeux de rôle, mais, désolé, ce n’est pas tout à fait cela », tel est mon avis. (rires) Nous essayons aussi de présenter des personnages attrayants, ainsi qu’un monde réaliste, afin que cela ne passe pas pour un simple conte de fées. Nous soignons les dialogues et nous faisons en sorte que les personnages soient modernes dans leur mode de pensée.
Quelle sorte de jeu de rôle est donc Tales of the Abyss ?
Un « jeu de rôle et de découverte du sens de la vie », ayant pour thème celui de se chercher soi-même. En tant que jeu initialement sorti en 2005 pour le dixième anniversaire de la série, il a marqué une étape à partir de laquelle nous avons essayé de faire ce que nous n’avions pas pu faire auparavant. Pour la première fois dans la série, nous avons développé le scénario en nous demandant si nous pouvions avoir un héros vraiment égoïste et en essayant de le structurer de sorte que les joueurs y adhèrent jusqu’à la fin même s’ils n’aimaient pas le héros.
Je vois.
Le personnage principal, Luke, est un enfant gâté issu d’une bonne famille. Il a de l’argent, il a une bonne position. Il a toujours eu tout ce qu’il voulait, si bien qu’il est totalement incompétent dès qu’il se retrouve livré à lui-même. En chemin, il se fait critiquer car il déclenche quelque chose d’horrible en commettant une erreur, mais il réplique : « Ce n’est pas ma faute ! » Tous les membres de l’équipe le critiquent. Il finit par ouvrir les yeux et se met à changer.
Si les joueurs doivent incarner ce genre de personnage, j’imagine que cela peut expliquer qu’ils ne l’apprécient pas.
Oui. J’imaginais que les joueurs allaient peut-être vouloir arrêter de jouer à ce moment, mais il se met à changer et on comprend pourquoi il est comme ça. C’était risqué. J’ai dit : « On peut toujours inverser le sentiment des joueurs plus tard ».
Vous l’avez donc sorti, en retenant votre souffle en attendant la réaction des fans.
Oui, mais finalement, nombreux sont ceux qui y ont joué jusqu’à la fin et qui l’ont vraiment apprécié. Ce que je voulais dire, c’est qu’il faut sortir du schéma classique du héros dont le destin est d’évoluer normalement pour finir par vaincre l’incarnation-même du mal.
Quand tout marche comme sur des roulettes.
Oui. Il n’y a peut-être que moi que cela gêne, mais si les jeux se limitent à cela, les joueurs finiront par s’en désintéresser. Même les enfants apprécient les schémas plus complexes dans les films et les livres. Si les jeux vidéo ne proposent que ce qui est attendu, à quoi bon ? Alors j’ai fait en sorte que tout le monde ait son propre point de vue, par exemple en créant un héros étrange ou une équipe dont aucun membre n’est vraiment honorable. (rires)
Il est clair que du début jusqu’à la fin, ce ne sont pas simplement des bonnes âmes dans l’équipe.
Oui. Je dirais plutôt que du début jusqu’à la fin, chacun a ses propres motifs inavoués. (rires)
Quoi qu’il en soit, ils sauvent le monde.
Oui, c’est vrai. (rires) Ils ne sont pas tous bons, mais n’est-ce pas comme dans la réalité ? Le monde de Tales of the Abyss est rempli de personnages intelligents mais qui jouent les imbéciles, ou qui semblent gentils mais sont en cheville avec l’ennemi.
Je vois.
Chacun agit selon ses propres pensées et raisons, mais à la fin, ils font des choix et accompagnent Luke dans son périple. Les joueurs voient Luke évoluer puis ils se disent : « Oh, Luke n’est pas si mauvais après tout ». Je veux que les joueurs retrouvent ce genre de légende ou de conte de fées dans le jeu.
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